La capture du grizzli ne signifie pas que la forêt n’a plus de griffes. Ce proverbe sibérien, tout juste inventé pour les besoins du film, colle parfaitement à la situation. Chaque coup porté au dopage, et celui que vient de recevoir l’athlétisme russe ne fut pas léger, éveille l’idée d’un progrès; l’ombre d’un espoir. Mais il ne signifie en aucun cas une victoire. Parce qu’à ce jeu-là, en fait, nous sommes tous perdants.
A la James Bond
Bref rappel du synopsis. Lundi 9 novembre, l’Agence mondiale antidopage (AMA) lance son pavé dans la mare: un rapport pointant un système de corruption généralisé, au cœur duquel des entraîneurs russes, leurs athlètes et des fonctionnaires filaient du mauvais coton. Infiltré par tous ses pores, le laboratoire national antidopage était encouragé, voire contraint selon des méthodes dignes du méchant dans James Bond, à détruire les échantillons positifs – on évoque au moins 1 500 pièces.
L’AMA, qui recommande, en attendant «mieux», la suspension à vie de 5 athlètes, parmi lesquels on trouve Mariya Savinova, championne olympique en titre du 800 mètres, a employé une formule choc: «Les JO de Londres 2012 ont été sabotés». L’instance a également précisé que, selon elle, ces pratiques n’auraient pu exister «sans l’approbation tacite ou explicite du gouvernement russe». Attaque que Vladimir Poutine parera dans la foulée, en la niant tout simplement et en promettant que la lumière serait faite – et les coupables dénichés – via une enquête interne.
Une exclusion possible?
Parfois, le grizzli redevient ourson. Il faut dire qu’en l’occurrence, le Kremlin est obligé de faire patte douce: vendredi passé, en réaction à tout ce raffut, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait voté en faveur d’une suspension provisoire de la Russie, à 22 voix contre 1. Un score à caractère soviétique et une menace sérieuse: y aura-t-il des athlètes russes aux Jeux de Rio, l’été prochain?
Autre question: suffit-il de transformer un vilain grizzli en bouc émissaire pour se poser l’esprit tranquille devant sa télévision? Evidemment pas. L’AMA a clairement laissé entendre que son rapport dépassait de loin le strict cadre de l’athlétisme – et les frontières russes, comme le nuage de Tchernobyl. Histoire d’étayer cette thèse de façon un peu effrayante, dimanche 15 novembre, Richard McLaren, membre de la Commission indépendante de l’AMA, a affirmé sur les ondes d’ABC NewsRadio que l’instance pourrait aller jusqu’à demander l’exclusion de l’athlétisme aux prochains JO.
Enquête internationale
Comme si le mal était un peu partout, ce que doit confirmer la deuxième partie dudit rapport, attendue avant la fin de l’année, et qui nous en promet de belles. Lamine Diack, lui, n’est pas pressé de le lire. Président de l’IAAF entre décembre 1999 et août passé, le Sénégalais, récemment mis en examen pour corruption et blanchiment aggravé, est soupçonné d’avoir cautionné – voire régi – tout un système permettant d’«effacer» les contrôles trop embarrassants, et on ne cause pas seulement des Russes.
Au cœur de cette méchante agitation, Interpol vient de communiquer son intention de coordonner une enquête de dimension mondiale sur le dopage, toutes disciplines confondues, dont on ne se réjouit guère de connaître les conclusions. Parce qu’à force de ne plus savoir à quel saint se vouer, on se demande gentiment s’il ne serait pas préférable de s’en remettre définitivement au diable. Parce qu’il arrive un stade où la vérité fait trop peur.