Cohabitation sur la route: pourquoi tant de haine?

Sur la route, de nombreux usagers semblent perdre  la maîtrise de leurs nerfs en cas de conflits. Un problème qui touche tous les modes  de transport. Police, experts et associations proposent des pistes pour éviter l’escalade.

 

«Les conséquences de la colère sont beaucoup plus graves que ses causes», écrivait l’empereur et philosophe Marc Aurèle au début de notre ère. Et il ne croyait pas si bien dire. Sur la route, on connaît tous une personne, qui perd ses moyens pour un rien lorsqu’elle est en voiture, à vélo, à scooter ou même à pied et qui aurait mieux fait de réfléchir à deux fois avant de s’emporter. Gestes, insultes, cris, menaces: peu importe si elle est en tort ou non, elle en veut à tous les autres usagers quel que soit leur mode de transport. Résultat: danger, stress et perte de temps. Dans les pires cas, ces altercations banales peuvent prendre des tournures violentes. Récemment, un conducteur valaisan a, par exemple, été condamné par la justice genevoise pour avoir volontairement percuté et blessé un homme à vélo. A l’origine du conflit, un arrêt intempestif du véhicule motorisé sur la piste cyclable, et un coup donné en réponse par le cycliste sur le rétroviseur. Autre exemple: celui d’un père de famille suisse, poignardé en France voisine pour une histoire de file d’attente devant une station-service. Le mois dernier, la justice hexagonale a condamné l’agresseur à cinq ans de prison, dont un an avec sursis probatoire.
Situations critiques
Si elles ne sont – heureusement – pas toujours aussi graves, les disputes liées aux transports sont pourtant monnaie courante, comme en atteste un sondage commandé par le TCS sur cette thématique. A la question «avez-vous déjà eu un conflit avec un automobiliste?», plus de 
la moitié des 1229 personnes interrogées affirment avoir vécu des situations «critiques». Lorsqu’on les questionne plus spécifiquement sur ces dernières semaines, elles sont 39% à reconnaître avoir vécu 
un conflit sur la route.
Le TCS avance plusieurs explications. «La proximité physique et 
le fait d’être exposé aux voitures, ainsi que la conduite rapide et en partie irréfléchie de certains automobilistes rendent les choses difficiles pour les piétons et les cyclistes dans la circulation routière quotidienne», avance l’association. Mais ce n’est pas tout. Le TCS relève également, que face à des situations de stress, de nombreuses personnes semblent perdre tout bon sens. 
«Les inhibitions en matière de jurons et même de violences ont tendance à disparaître: souvent, la frustration se fait jour sous forme de coups de pied ou de poing dans 
la voiture.» Voilà pour le constat. Pour éviter de céder à la colère, 
le TCS appelle à faire preuve de tolérance, que ce soit à l’égard des autres comme à notre propre égard. «Nous commettons tous des fautes – vous y compris – dans le trafic routier. Par votre tolérance, vous améliorez 
le climat sur les routes et contribuez à réduire le nombre d’accidents.»
Mouvement d’humeur
La thématique des conflits sur la route est également suivie de près par la police genevoise, notamment sur le terrain. «Dans la majorité 
des cas, il s’agit de frustration, typiquement lorsque nous sommes à l’arrêt à une intersection et certains usagers forcent le passage puis finissent par entraver le carrefour, 
ce qui occasionne des mouvements d’humeur et de l’injustice. Ainsi, lorsque nous sommes victimes d’un dépassement effectué sans les précautions d’usage, cela peut générer un sentiment d’insécurité et là aussi, de la frustration», détaille Alexandre Brahier, porte-parole de la police genevoise. Pour endiguer le phénomène, la police affirme effectuer 
des contrôles spécifiques pour permettre une meilleure cohabitation entre les usagers. «Si tout le monde respecte les règles en vigueur, il en résulte un plus grand respect et de 
la bienveillance à l’égard de chacun», relève le porte-parole.
Les forces de l’ordre en profitent pour donner quelques conseils: «ne jamais chercher à récupérer le temps perdu dans la circulation, prendre la route lorsque nos émotions le permettent afin d’être plus apte à la conduite, ne pas répondre inutilement aux provocations, rester concentré».
Eviter l’escalade
Au-delà de ces considérations, comment enrayer ces éclats de colère sur la route, notamment chez les automobilistes? Pour Jonas Marty, responsable de l’Institut d’action et de développement en psychologie du trafic, il s’agit de comprendre que 
la nature de nos interactions change quand on prend le volant. «Lorsqu’on se déplace, il est rare d’avoir une discussion avec les autres usagers. On ne se voit que quelques secondes, ce qui fait que l’on ose se permettre des réactions que l’on n’aurait pas en temps normal», explique le spécialiste. Une réalité qui s’applique également aux autres modes de transport.
Pour éviter l’escalade, Jonas Marty appelle à prendre conscience que 
la plupart du temps, la colère d’un autre usager n’est pas dirigée contre nous. «Ces réactions sont souvent provoquées par l’inconscient ou les réflexes. Il est très rare que 
le danger soit volontaire. Dans de nombreux cas, les origines du conflit sont à chercher ailleurs que sur la route, la personne s’énerve en raison d’un problème familial ou professionnel. Il est donc inutile de s’énerver soi-même», détaille Jonas Marty. Qui appelle également les usagers à être conscients de leur propre situation émotionnelle. «Avant tout déplacement, il faut être vigilant sur son propre état, physique ou mental. De nombreux conducteurs sont trop absorbés par leurs pensées pour conduire, dans ce cas, il vaut mieux laisser son véhicule ou se reposer un peu, pour le bien de tous.»

 

Vive les bons comportements!

Si les comportements colériques s’observent régulièrement sur la route, Jonas Marty tient à nous rassurer: de manière générale, on voit sur les routes suisses de très nombreux comportements sécuritaires et prévoyants. «Si un autre véhicule ne respecte pas une priorité, anticiper peut permettre d’éviter un accident. Comme nous sommes une communauté, la grande majorité des usagers se surveillent mutuellement et garantissent une plus grande sérénité», observe le spécialiste.
Qui salue également le niveau de sécurité routière atteint dans notre pays. «En Suisse, nous sommes très avancés en matière la sécurité routière. Et heureusement, parce que des dangers supplémentaires se multiplient actuellement. Je pense notamment aux vélos électriques et aux trottinettes, qui sont de nouveaux usagers de la route, mais pas toujours conscients des dangers, et qui contraignent les automobilistes à s’adapter.