Il y a une part d’ombre à nos allégresses printanières. Comme un mauvais pressentiment dans l’air, voire le début d’une angoisse qui, qu’on se l’avoue ou pas, nous ronge tous un chouïa: l’équipe de Suisse de football va mal. L’Euro, c’est dans un mois. Et sur l’affiche, y’aurait plutôt écrit «La grande peur sur l’échine» que «L’étoffe des héros».
Pas de panique
Le premier truc, bien sûr, c’est de rester calme. Pas paniquer, respirer profond en caressant la patte de lapin dans le sens du poil. Réviser les paroles de l’hymne, adopter une posture à cheval entre Docteur Coué et Mister Candide, zen absolu, positif à mort. En football tout va très vite, la roue tourne, l’équipe pétera le feu le 11 juin à Lens contre l’Albanie, et la baraque ensuite. Plus en vérité: l’état actuel des lieux et des troupes est à flanquer une frousse de tous les spectres pas jolis jolis.
Les deux derniers exploits en date de nos Hercule pas super motivés on dirait? Anesthésier 40’000 Irlandais à l’usure un soir de Vendredi Saint (défaite 1-0); attiser quatre jours plus tard, à force de passivité et d’impéritie, l’enthousiasme des quelque 10’000 supporters de la Bosnie venus en visite à Zurich (défaite 0-2). Davantage que le zéro pointé, c’est le néant manifeste qui inquiète. Nul plan, pas d’envie. Encéphalogramme plat, bulletin comminatoire: flippant derrière, sans inspiration au milieu, inefficace devant. Une soupe embarrassante, pas même relevée par le sel d’un esprit. Ni cœur, ni tripes. Le néant. Bref faudra que le gardien Yann Sommer soit en grande forme.
Pas paniquer, bien respirer. Il reste un mois et tout le monde va retrouver la pêche en même temps. D’ailleurs ce plan est assez finement diabolique, qui consiste à endormir – ou amuser – l’Europe entière histoire de mieux la conquérir par surprise cet été. Un truc de Sioux redoutable, de crotale chafouin. La bête blessée, moribonde, qui se transforme subito quand il faut en fauve de combat prêt à dévorer ses adversaires en série. Et si c’était pas ça? Et si «on» était aussi mal qu’on en a l’air dans la glace?
Tout est possible
Aspirine, cigarette. Expirer. Allumer un cierge pour que la cuisse de Xherdan Shaqiri, dont il se murmure qu’il abuse du fish & chips, tienne bon. Au moins ça parce qu’en charnière centrale, même en admettant que Johan Djourou se remette pleinement de sa mononucléose et ne se torde pas une cheville, même à supposer que Fabian Schär se tienne le moins mal possible, il y aura interrogations majeures. Et les types à qui tout réussit dans les spots publicitaires, à commencer par viser la voiture en route, parviendront-ils à nouveau à aligner trois passes sur le terrain?
Il y a dix ans pile, la sélection nationale, fière de ses différences et culottée à souhait, déclenchait la plus grande et belle vague d’enthousiasme de son histoire lors de la Coupe du monde en Allemagne. On a longtemps rêvé, et on rêve encore, de revivre un film similaire cet été en France. Mais il faut reconnaître que pour l’instant, on en serait plutôt à se demander si la croix du drapeau est blanche ou rouge.
Rester calme. Faire confiance aux grands hommes, à l’avenir. Convoquer Ferdinand Hodler pour rénover le tableau et Jacques Dalcroze afin de démêler les partitions. Tout est possible. L’écureuil devient tigre si on lui casse les noisettes. L’animal blessé est dangereux. La surprise n’appartient pas au domaine du prévisible. Oui, l’équipe de Suisse peut parfaitement briller à l’Euro.