Je m'adresse à toi, ami lecteur: tu as déjà entendu parler de la Constituante? Elle t'a fait vibrer, cette docte Assemblée? Tu en rêves la nuit, de ces chapitres, ces alinéas, tout le fracas, tout le fatras de ces juristeries? Tu as réussi à les suivre, leurs ébats, à la télé, plus de dix minutes sans pioncer grave, du sommeil du Juste? Tu le connais, le projet de Constitution sur lequel nous votons, le 14 octobre? Il t'excite? Il t'allume? Il a mis le feu à tes désirs? A quelques jours du terme, tu te sens devant un vote historique, un carrefour, qui déterminerait nos destins? Un Conseil d'Etat de cinq ans plutôt que quatre, c'est le genre de truc qui t'embrase les méninges, obsessionnel, quand tu fais tes courses au supermarché?
PÉCHÉ ORIGINEL C'est une histoire mal barrée depuis le début. Avec un péché originel. Celui de s'être attaqué à une révision de le Charte fondamentale (l'actuelle, qui porte la marque de Fazy, date de 1847 et a subi 131 modifications), comme ça, à froid, sans que nul vent de l'Histoire nous y pousse. En temps de paix! Car enfin, dans cette ville où je traîne mes guêtres depuis cinq décennies, il m'arrive parfois d'arpenter le macadam, j'entends parler de maintes choses, de sexe et de transports (c'est lié, au sens racinien), d'immigration, de propreté, d'éclairage dans les rues, d'impôts, de prisons, de primes maladie. Mais de Constituante, jamais. Niet! Nada! Juste là-haut, pour les éthérés, les carriéristes, de gauche comme de droite, les éphèbes de la vie, conceptuels. Géomètres!
OPACITÉ
Entre eux, surtout: le sérail! Ils ont allègrement fonctionné en circuit fermé, on dirait un modèle électrique, avec des résistances, des séries, des équations. Ils ont passé quatre ans à se marquer à la culotte! La gauche veut avancer sur les droits des étrangers, la droite mord à pleines dents. Et vice-versa. Et un pas en avant, et un pas en arrière, et patati, et patata. Au final, un texte respectable, équilibré (voyez, je ne suis pas un monstre), avec quelques pics d'intérêt. Mais tellement marécageux, dans son œcuménisme, que c'est brume et brouillard, nuit sans lune, syllabes érigées vers l'invisible. J'exagère ?
DU CONCRET
Bon, si vous y tenez absolument, vous trouverez en bas, dans l’encadré, un résumé de deux ou trois trucs que contient ce texte. Votez comme vous voulez: ça n’a, de toute manière, aucune importance. Nous ne sommes ni dans la France de 1958, ni dans la Genève fazyste de 1847. Les Chartes fondamentales, seraient-elle Code d’Hammourabi, le grand public s’en contrefout. Ce qu’il veut, aujourd’hui, c’est du concret. Sur la sécurité. Sur les primes. Sur la retraite. Sur le coût de la vie. Alors, vous comprenez, les puissantes cogitations des éphèbes aux joues duvetées, ou de leurs aînés, mâles, pétris de sagesse, perclus d’efforts, dégagés des entreprises, ça ne traumatisera pas la populace. Ni pour un oui, ni pour un non. L’Oncle Décaillet ne donnera donc pas de consigne de vote. Il vous incitera juste à aimer la vie. La prière, s’il y a lieu. La beauté des matins, lorsque surgit le lièvre. L’adieu écarlate du soir. L’odeur de la terre, après la pluie. N’oubliez pas d’aller voter. Ou d’aller à la pêche.
(lire édito en page Une)