Les députés parlent aux députés

GRAND CONSEIL • Le problème numéro un des élus genevois, c'est que trop d'entre eux vivent en vase clos. Comme si le Grand Conseil était un palais des glaces. Un jeu de miroirs. Dont on ne sort pas.

  • Trop de députés aiment vivre en vase clos, avec comme toile de fond: la salle du Grand Conseil.

    Trop de députés aiment vivre en vase clos, avec comme toile de fond: la salle du Grand Conseil.

Il y a quelque chose qui ne va pas chez les députés genevois. Nous les avons élus, nous les citoyens, dans quel dessein? Pour qu'ils nous représentent! Et prennent en notre nom les décisions qu'ils croient justes pour l'avenir de Genève. Nous les avons désignés, tous partis confondus, pour qu'ils soient à notre écoute, à notre service. Non pas, bien sûr, dans un rapport de soumission. Mais au moins, d'attention, de disponibilité, d'ouverture auprès de leurs électeurs. Hélas, au lieu de cela, nombre d'entre eux donnent l'impression de vivre en cercle fermé. Comme si leur seul horizon d'attente était… le théâtre parlementaire lui-même, en ses murs.

TOUS ENSEMBLE
Comme si, une fois élus, tellement heureux d'être de ce cénacle, ils se contentaient d'y vivre en famille. Entre soi. Et qu'importent les barrières idéologiques des partis: après la rudesse de la campagne, où l'on s'affronte sans ménagement, qu'il est doux de se raccommoder très vite avec les ennemis d'hier. On boit ensemble. On mange ensemble. On sort ensemble. On rentre ensemble. On se tutoie. Sur les réseaux sociaux, on affectionne de se retrouver: on s'y harponne amicalement, on s'y câline tendrement, on reconstitue sur l'écran le cercle de famille. Adieu les frontières, les partis, ne demeure que la tiède, la mousseuse confluence de se sentir en ensemble.

NE PAS DÉRANGER
Au point que certains d'entre eux ne semblent plus vivre, s'émouvoir, émettre des messages que pour l'interne de l'enceinte parlementaire, son jeu de miroirs: on n'existerait plus que pour le Cercle. La rue, ses bruits, la plèbe et sa rumeur, la populace malodorante, le Genevois gueulard qui vitupère dans les bouchons, tout juste bons pour l'oubli. Ne venez pas nous déranger, vous voyez bien que nous siégeons, nous en sommes à l'alinéa 3 ter, laissez-nous donc nous concentrer. Mais enfin, Mesdames et Messieurs les députés, passer du 3 ter ou 3 quatuor serait-il plus important que de prêter l'oreille à la souffrance des citoyens? Quand on ne les insulte pas au prétexte qu'ils inventeraient des problèmes de nuisances sonores, de concurrence déloyale sur le marché de l'emploi, de primes d'assurance étouffantes. Ils seraient juste le pays réel (non, je ne vais pas ici me lancer dans un débat sur Maurras), vous êtes l'officialité, le pays légal, la caste législative, alors il faudrait vous foutre la paix. Ne pas venir salir.

PARFUM DE NAPHTALINE
L'une des causes majeures de l'émergence de nouveaux partis, ou mouvements, à Genève, c'est le parfum de naphtaline de ce monde parlementaire, sur soi-même refermé, peu curieux de la vraie vie. Certains, dès qu'on vient leur parler des problèmes des gens, des histoires bien concrètes, de voisinage, ou de petits voyous, ou de sacs arrachés, ou de votre boulot qui s'envole, au profit d'un autre, pour cause de sous-enchère, ne réagissent que par haussements d'épaules. Vous, le plaignant, le souffrant, n'auriez rien compris. Eux, sourds jusqu'au silence, n'ont de priorité qu'à nettoyer l'alinéa suivant. Ou d'aller au théâtre, le soir. Pour s'y mettre en scène eux-mêmes. Ce point culminant du monde clos et de la dramaturgie circulaire porte un nom: il s'appelle la Revue des députés.