«Le constat, en milieu de parcours, est celui d’un échec»
Pascal Décaillet
Faites vos calculs. Ou reprenez le si beau début de la Divine Comédie: entre novembre 2013, mois de son élection, et le printemps 2018, renouvellement de nos autorités cantonales, nous sommes exactement au milieu du chemin: «Nel mezzo del cammin»! Eh oui, le temps passe vite, et voilà cette nouvelle législature, de (presque) cinq ans, première de l’ère post-Constituante, déjà entamée de moitié. Dès maintenant, doucement mais sûrement, le compte à rebours commence pour les prochaines élections. D’aucuns, à gauche comme à droite, glabres ou barbus, commencent à y songer en se rasant. Comme le disait Churchill après El Alamein, ça n’est pas le commencement de la fin, mais sans doute la fin du commencement.
Manque de cohésion
Au milieu du chemin, le bilan intermédiaire du Conseil d’Etat n’est pas réjouissant. Malgré la valeur individuelle de certains magistrats, on peine à percevoir une quelconque cohérence d’ensemble. On a l’impression que chacun tire à sa corde, on ne sent pas l’unité du collège. C’est dommage. Parce que c’est justement cela qu’à la Constituante, puis aux élections de l’automne 2013, on a voulu nous vendre. On nous promettait cohésion, efficacité. On nous assurait que les nouvelles dispositions constitutionnelles, législature plus longue, présidence unique, allaient nous concocter l’exécutif idéal. C’est raté.
Privé de budget
Oui, le constat, en milieu de parcours, est celui d’un échec. Cet étincelant gouvernement post-moderne, qu’on nous faisait miroiter il y a deux ans et demi, n’a pas été capable de faire passer au Parlement un budget pour 2016. Il a perdu ses relais au législatif, avec lequel il donne parfois l’impression d’être carrément en guerre. Il écope d’audits et de commissions d’enquête. Privé de budget, il affaiblit la marge d’investissements de l’Etat, donc sa capacité à dessiner l’avenir. Pire: il a réussi, l’automne dernier, à liguer contre lui la fonction publique, dans la rue. On a connu, de Mendès France à Willy Brandt, de Tschudi à Chavanne, des équipages plus dynamiques, plus porteurs d’espoir, plus visionnaires dans le dessein.
Mauvais signal
Cette situation n’est pas bonne pour Genève. Nul, dans le canton, quelle que soit sa couleur politique, n’a intérêt à un gouvernement affaibli. Parce qu’un exécutif essoufflé, ou donnant des signes d’impuissance, c’est une mise en ralentissement de l’Etat. Avec le risque d’un assèchement des idées, des envies, des pulsions de projection sur l’avenir. Le signal donné par ces fameux «douzièmes» (faute de budget), c’est qu’on va se contenter d’administrer, mais sans oser le risque sur le futur. Or, gouverner c’est prévoir. Anticiper. Précéder. Sinon, autant laisser les hauts fonctionnaires gérer le cadastre de nos existences. Et placer des bornes sur le champ du possible.
Citoyens dans l’attente
Surtout, nous avons maintenant un «Département présidentiel». Dans un délire d’audace, on aurait pu imaginer que de lui vinssent les impulsions qui font tant défaut. Nous les guettons, comme le ciel qui poudroie. Et peinons quelque peu à les apercevoir. Sans doute est-ce là un effet, uniquement, de notre incapacité crasse, vulgaires citoyens que nous sommes, à percevoir la Lumière. Alors, Madame et Messieurs, il vous reste une seconde moitié de législature pour nous éblouir. Nos yeux sont en attente du premier de vos gestes.