Nous avons déjà disserté ici du phénomène des fusibles en politique. Le haut fonctionnaire (GHI 28.04.16), par exemple, que l’on fait sauter, pour éviter qu’on mette en cause la responsabilité supérieure, celle du pouvoir politique. Nous l’avons dit: c’est classique, omniprésent, universel. Genève n’en a pas le monopole, mais elle est très bien placée pour l’obtention de la palme. Et certains ministres, plus que d’autres, sont devenus spécialistes dans l’art de faire sauter des fusibles, et faire ainsi oublier leur propre responsabilité de tutelle, lorsqu’éclate une affaire. Il nous faut pourtant la leur rappeler: trop facile de tirer la couverture, pour sa gloriole, lorsque tout va bien, et détourner la tête, comme si on ne savait rien, dès que ça commence à sentir un peu le roussi.
Première bataille gagnée
Ainsi, l’affaire Cudré-Mauroux. Je ne devrais d’ailleurs pas utiliser cette expression, parce que, rien qu’en elle-même, elle donne déjà raison au ministre. Le seul fait de coller un nom propre au mot «affaire» est déjà de nature à salir la réputation de l’intéressé. Et c’est exactement cela que vise le pouvoir politique, en créant un fusible: le coupable potentiel n’est pas encore condamné, mais il est déjà, universellement, nommé. Du coup, nul ne parle, par exemple, d’«affaire Maudet». Mais tout le monde, d’«affaire Cudré-Mauroux». Pour le ministre, créateur de fusible, la première bataille, celle de la communication, est déjà gagnée.
Rapport «à charge»
Numéro 2 de la Police genevoise, chef des opérations, Christian Cudré-Mauroux, un grand professionnel apprécié et respecté, est soupçonné d’avoir mal géré la manifestation sauvage du 19 décembre 2015. Il y a déjà eu, contre lui, un rapport très sévère, disons même «à charge». Et voilà que la RTS nous révélait, jeudi 9 juin, que ce grand serviteur de la Police était mis en demeure par le Conseil d’Etat de démissionner dans les jours suivants, faute de quoi il risquait la dégradation. L’hypothèse d’une relégation à l’île du Diable n’est pas mentionnée, mais elle plane dans l’esprit de la menace. Cela, et c’est très important, alors que la Commission de contrôle de gestion du Grand Conseil, présidée par l’excellent député UDC Christo Ivanov, mène sa propre enquête, en profondeur, sur les événements du 19 dé-cembre, et nous promet des résultats pour le 12 septembre.
Précipitation suspecte
Et c’est cela qui ne va pas. Le Conseil d’Etat (pour être clair, les deux ministres radicaux, MM. Maudet et Longchamp) donne l’impression de vouloir enterrer au plus vite l’affaire à l’interne, trois mois avant le délai que se donnent les élus du peuple, chargés du contrôle du gouvernement, pour établir, par leurs propres moyens, toute la lumière sur l’affaire. Du coup, l’exécutif agit comme s’il avait des choses à cacher. Autant il avait été habile dans la première phase de communication, celle qui consiste à imposer des mots, désigner un fusible, autant il pèche, là, par précipitation suspecte. Ainsi fonctionnent les fusibles: une erreur de manipulation, et la décharge est là. Il arrive qu’elle fasse plutôt mal.