Mauro Poggia, l’équilibriste

MCG • Comment survivre, quand on est conseiller d’Etat, à une éventuelle Apocalypse de son parti? Un homme détient ce secret: Mauro Poggia, le grand magicien.

  • Maura Poggia est prêt à se lancer seul pour un nouveau mandat. ISTOCK

    Maura Poggia est prêt à se lancer seul pour un nouveau mandat. ISTOCK

Si j’étais responsable de casting au cirque Knie, j’approcherais Mauro Poggia. Je l’inviterais à manger dans le meilleur restaurant de Rapperswil (SG), où le chapiteau a son siège national, et je lui proposerais de l’engager comme équilibriste-contorsionniste pour une prochaine tournée. Le conseiller d’Etat genevois serait chargé à la fois d’un numéro de funambulisme sans l’aide d’un balancier, sous l’amical chatouillis d’une guenon, d’innombrables contorsions dans une cage multicolore et exiguë, ainsi que de scène de jonglages avec des quilles enflammées, sous le regard gourmand d’un vieux crocodile fatigué. Pour le ministre genevois de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Santé, le contrat serait juteux. Sa notoriété nationale, assurée. Sa réélection, promise.

Parti coupé en deux

Vous avez des doutes? Pour les dissiper, prenez la peine de lire l’entretien qu’il a accordé, dans ce même journal, à Giancarlo Mariani (lire en page 5). Mais aussi, d’écouter les 15 minutes et 29 secondes d’interview du magistrat par mon éminente consœur de la RTS Laetitia Guinand. C’était à Forum, dimanche 8 mai, jour de la victoire. Il s’agissait, pour le conseiller d’Etat MCG, de faire figure de pacificateur, neuf jours après la sanglante Assemblée du MCG qui, à une voix seulement d’écart, avait préféré la Verniolane Ana Roch à l’Onésien Eric Stauffer, pour la présidence. Parti coupé en deux, césure dans la chair, impossibles cicatrices, douleur à vif. Mauro Poggia était attendu au tournant: il avait voté pour Eric Stauffer, mais ne pouvait désavouer la majorité gagnante, ni la légitimité de Mme Roch, bref on était parti pour un numéro de casuistique, la redoutable rhétorique des Jésuites, à faire pâlir les plus retors dans l’art de la parole.

Tout et son contraire

Dans l’interview, les moments d’anthologie se succèdent. Par exemple, par lapsus, M. Poggia dit «Monsieur UDC» à la place de «Monsieur Golay». Par rapport au père fondateur éconduit par l’Assemblée, on compte à peu près le même nombre de flèches au curare que de rattrapages prudents. Comme si l’ombre du Commandeur hantait encore le château. En résumé, M. Poggia dit tout et son contraire sur M. Stauffer, «rien sans lui n’aurait été possible» (ce qui est vrai), mais aussi «Eric, on t’aime» (sic!), mais «ne deviens pas l’herbicide qui fasse disparaître ce qui est en train de germer». Même l’immense magicien Harry Houdini (1874-1926) n’eût pas réussi tant de tours de passe-passe en aussi peu de mots.

Un homme libre

Mais le magistrat va plus loin. Il avertit déjà: si le MCG entend se désintégrer, ou se liquéfier, ou s’évaporer d’ici aux élections du printemps 2018, eh bien lui, Mauro Poggia, ne liera pas son destin à ces décombres: il se présentera, s’il le faut, en indépendant pour un nouveau mandat. Tel Houdini, il se déliera, tout seul, de ses chaînes, sortira de son caisson en homme libre. La foule, époustouflée, applaudira. Et lui fera un triomphe pour sa réélection. Eh oui, la vie est belle, lorsqu’on n’étouffe pas sous le poids des appartenances. C’est la leçon du grand équilibriste de la politique genevoise.

Lire notre article: «L’ère post-Stauffer commence»