Depuis trente ans, j’interroge des politiques. Principalement dans des interviews radio ou télévision. En trois décennies, plusieurs milliers d’entretiens. Des grands de ce monde, comme François Mitterrand ou Helmut Schmidt, aux plus modestes, peu importe: le principe est toujours le même, essayer de comprendre ce que l’interlocuteur a dans le ventre. Ce qui le meut. Ce qui le passionne. Au fond, la question essentielle, pour moi, n’est pas tant de savoir si Monsieur X ou Madame Y présidera le PLR, ou le PS, ou le PDC. Mais quelle trajectoire profonde, quel sillon, l’a amené dans l’aventure politique. Autant le dire tout de suite: j’admire ceux qui ont des références. Et n’accorde qu’une attention distraite à ceux qui ne seraient en politique que par le hasard, la tradition familiale, ou juste l’ivresse d’appartenir à un réseau.
Suivre un sillon
Alors oui, je fais ici l’éloge du sillon. La trace. Et je donne des noms: Guy-Olivier Segond, Pierre Maudet, François Longchamp, Murat Julian Alder, Adrien Genecand, voilà des radicaux (oui, je sais, on dit PLR) qui savent pourquoi ils sont radicaux. Et pas libéraux, tiens, justement! Ils connaissent l’Histoire politique de Genève, mais aussi de la Suisse. Ils ont lu des livres. Ils savent ce qu’ont été les grands affrontements politiques et philosophiques du XIXe siècle. La question de l’Etat. Les institutions. La laïcité. On partage ou non leurs combats, mais on sait à qui on a affaire: ils sont traçables, lisibles. Ils sont les enfants d’un sillon. C’est tout à leur honneur.
Connaître l’Histoire
Idem au PDC. Peu de gens, dans ce parti à l’Histoire passionnante, n’accédant au Conseil fédéral qu’en 1891, ont un champ de références historiques aussi nourri que Sébastien Desfayes, ancien président cantonal. Ou Fabiano Forte, qui occupa la même fonction. Ou Serge Dal Busco, pour qui la Democrazia Cristiana n’a pas de secrets. Et d’autres, qui me pardonneront de ne pas les citer. Là aussi, le fossé est énorme entre ceux qui sont passés par les livres d’Histoire et ceux dont l’adhésion apparaît comme plus fortuite, voire juste opportuniste. Je pourrais, bien sûr, donner quantité d’exemples à gauche, où de toute façon la culture d’appartenance à un parti est mieux ancrée dans la référence idéologique qu’à droite. Disons qu’on y trouve moins de zombies de hasard, juste venus au parti parce qu’il y avait de la lumière.
Opportunisme politique
Le zombie de hasard, c’est celui qui, tel un éphémère, vient s’éclaffer contre un phare, dont la fatale clarté l’attirait. Celui qui n’est là que pour le réseau, la mondanité. Celui qui, n’ayant jamais lu de livre, prétend, toutes affaires cessantes, «rajeunir le débat», «faire de la politique autrement», «s’affranchir de l’Histoire». Pour ma part, je fuis comme la peste ce genre de cataplasmes. Dans ma vie, j’ai mieux à faire: découvrir des hommes et des femmes, des trajets humains, avec des traces, des souffrances, des cicatrices. L’intensité d’une mémoire. Peu m’importe qu’ils soient de gauche ou de droite. Si vous saviez comme cela m’est égal. Excellente semaine à tous.