LA MONTRE DE PAPA • En voyage à New York dernièrement, un jeune homme me demande l’heure. Par réflexe, je lui tends mon poignet. Je n’imaginais pas que ce geste banal allait provoquer un malaise, un moment suspendu dans le temps. Mon interlocuteur me regarde, interloqué. Et là, je comprends la réalité à laquelle fait face notre industrie horlogère. Ce jeune Américain, tout sourire avant que je ne lui montre l’heure, déchante. Il ne savait pas la lire.
En un instant, la situation m’a rappelé les propos de nombreux experts: les acteurs du secteur les plus en danger par l’arrivée des montres intelligentes (sans aiguilles, donc) sont ceux opérant sur l’entrée et le moyen de gamme, comprenez avec des prix allant jusqu’à quelques milliers de francs. Au-delà, on achète un objet d’art ou d’investissement plutôt qu’une montre. Les jeunes eux-mêmes, du moins ceux qui en ont les moyens, se ruent actuellement sur les montres suisses de collection. Quid de toutes celles et ceux qui ne considèrent tout simplement pas la montre de papa comme un objet de leur temps?
Le directeur de l’une des plus prestigieuses marques horlogères du pays me racontait sa surprise (et/ou son dépit) à la réaction de son fils, à qui il annonçait vouloir offrir une montre de sa collection. Le garçon, non sans considérer ce magnifique cadeau, lui dit avec sincérité: «Tu ne voudrais pas plutôt m’offrir une Apple Watch?»