«Il y a dans la fonction d’innombrables pièges»
Pascal Décaillet
C’est parti! Avec la session d’hiver, lundi 30 novembre, la nouvelle législature fédérale a commencé. Les élus (200 conseillers nationaux, 46 conseillers aux Etats) ont quatre ans pour faire leurs preuves. Parmi eux, les nouveaux, dont la Verte genevoise Lisa Mazzone, benjamine du National, qui a prononcé le discours d’ouverture, et, par exemple, le fulgurant PLR valaisan Philippe Nantermod, véritable fusée de la vie politique suisse. Mais au fond, qu’est-ce qu’un parlementaire fédéral? A quoi sert-il? Qu’est-il, et surtout que n’est-il pas? Sous l’ancestrale molasse de la Coupole, où le danger de vivre en circuit fermé est énorme, comment se prémunir de ce péril? Comment garder le contact avec ceux qui vous ont élus? Comment demeurer proche du peuple?
Travail de groupe
En théorie, la réponse est simple: un élu législatif, aux Chambres fédérales comme dans un Grand Conseil cantonal, est là pour faire des lois. J’ai vécu plusieurs années à Berne, et même après l’avoir quittée, j’y suis retourné régulièrement, encore, pendant une bonne quinzaine d’années. Je puis témoigner de la grandeur et de la difficulté de cette tâche: fabriquer des lois. Oui, c’est une œuvre complexe, qui parvient lentement à maturation, il faut accepter ce rythme, prendre patience, apprendre à dialoguer avec l’adversaire politique, composer avec lui, laisser l’autre Chambre faire sa part de travail dans les «navettes», se dire que le résultat final sera fort rarement à l’image de ce que, tout seul, on imaginait au début. Bref, il faut croire au travail en groupe, aux vertus de l’intelligence collective, ce qui n’est pas donné à tout le monde: les individualistes extrêmes peinent à percer dans ce genre de système.
Faire des lois
Faire des lois est une tâche noble, et c’est l’apanage des parlementaires. Même si, à la fin, un référendum peut défaire, d’un coup, un beau dimanche, tout le bel ouvrage qu’ils auront mis des années à tricoter ensemble. C’est leur lot, et c’est tout: leur mission se limite à cela, faire des lois. Les 246 ont ce pouvoir, que nous, les cinq millions de citoyennes et citoyens, n’avons pas (si ce n’est celui, suprême, du référendum). Ils ont ce droit, ce devoir même, mais le débat politique, lui, ne leur appartient en aucune manière. Son champ, à lui, est celui des cinq millions et non des 246, il est celui de l’ensemble des citoyens.
Nombreux pièges
Et c’est justement là que le bât blesse. Lorsqu’un parlementaire fédéral a tellement pris d’assurance et de confiance en lui, qu’il commence à se dire que la politique lui appartient. Qu’il aurait, plus que n’importe quel autre citoyen, le droit à émettre une parole sur l’organisation de la Cité. Et que, parce qu’il est élu, il y aurait, dans l’essence de sa parole à lui, quelque chose de sacré. Cette dérive, c’est le début de la fin. L’autre écueil, surtout chez les jeunes, les nouveaux élus, étant de céder à l’ivresse que procure, dans la magnifique Vieille Ville de Berne, surtout l’hiver, à l’approche de Noël, l’unité de lieu. Donc, de vivre entre soi. Entre parlementaires. En oubliant très vite ceux qui vous ont élus. Eh oui, il y a dans la fonction d’innombrables pièges. Je souhaite à tous de les déjouer. Et de se souvenir qu’ils ne sont à Berne que par délégation du peuple souverain.