Les petits barons du convenable

DÉMOCRATIE • Si vous ne partagez pas la pensée dominante, vous ne servirez pas la société en vous murant dans le silence. La démocratie, c’est le choc des idées: alors, de grâce, exprimez-vous!

  • Nous devons impérativement exprimer nos pensées sans tabous. ISTOCK/WILDPIXEL

    Nous devons impérativement exprimer nos pensées sans tabous. ISTOCK/WILDPIXEL

Vous avez remarqué? L’UDC, ou le MCG, lorsqu’on est en société, disons une dizaine de personnes, autour d’un verre ou d’un repas, on en parle toujours comme si c’étaient les autres. On part de l’idée que, sur les dix charmants convives à table, il n’y en a évidemment aucun pour partager les idées de ces partis. Il y a pourtant, grosso modo, un Suisse sur trois qui vote UDC, un Genevois sur cinq MCG. On veut bien admettre que ces gens existent, mais pas là, pas ce soir, pas dans ce groupe-là! Parce qu’on est entre gens de bonne compagnie, non?

Autocensure

Et si, par hasard, il y a parmi les dix convives une personne qui vote UDC, ou MCG, elle aura sacrément tendance, à moins d’être très courageuse et risquer de casser l’ambiance, à se retenir d’exprimer son opinion. Ce phénomène, très courant, que nous avons tous vécu à un moment ou un autre, s’appelle l’autocensure: je ne veux pas avoir d’ennuis avec mes amis, alors je me la coince. C’est très dommage, parce que la même personne, qui se sera retenue en public, ne le fera pas dans l’urne, au moment de voter. Au contraire: elle se rattrapera!

Tabous

J’invite chaque lecteur de cet article à dresser la liste des positions où il se sent minoritaire, mais préfère le demeurer discrètement plutôt que se mettre à dos la pensée dominante. Chacun d’entre nous trouvera très vite cinq, six, dix sujets où il a tendance à se réprimer en public. Autour, par exemple, de l’idée de frontière, de souveraineté nationale, de préférence à l’emploi local. Ou alors, en matière d’évolution des mœurs, là où cette dernière nous est présentée (par une toute petite clique de commentateurs) comme inéluctable. Ou encore, sur les sujets liés à l’immigration. Dans les honorables tablées, rien ne sort; dans l’urne, si.

Liberté d’expression

La vérité, c’est que l’immense majorité d’entre nous ne fait pas usage de sa liberté d’expression. Elle est pourtant très vaste, en Suisse, nous vivons dans une belle démocratie, et n’avons vraiment pas à nous plaindre, de ce côté-là, en comparaison internationale. Nous pouvons, tout en respectant la loi, aller très loin dans l’expression de notre opinion. Mais hélas, pour ne pas déplaire, nous nous en retenons! Dommage, oui, car la démocratie, ça n’est pas le silence. Ça n’est pas le tabou. C’est le choc des idées. Toutes les idées, y compris minoritaires. Si nous avons des choses à dire, que nous jugeons utiles à la vie commune, à l’amélioration de notre société, nous devons impérativement les exprimer.

Seul contre tous

J’invite enfin tous les lecteurs de ce papier à ne point craindre la solitude, qui est l’une des plus belles choses du monde. Seul contre tous, en société, on se fera rabrouer par les petits barons du convenable. Et alors! Rien ne vaut la puissance d’un argument pesé et affûté. On sera d’accord ou non avec vous, mais on sera bien obligé d’entrer en matière. Faute de passer pour des censeurs. Et justement, il y a tant de censeurs, parmi les barons. Ils méritent qu’on les attaque frontalement. Avec respect dans la forme. Mais sans la moindre concession sur le fond. Excellente semaine.