Ouvrir les frontières. Laisser passer les marchandises et les personnes. Faire confiance au marché. Mettre en concurrence les entreprises locales avec d’autres, venues de l’étranger, pour stimuler la compétition intérieure. Enrichir la population suisse du brassage, également appelé «mixité», causé par le flux migratoire. Jouir de cet apport. Sanctifier l’altérité, porteuse de nouveauté. Telle est, en quelques mots, l’idéologie contenue dans le principe de libre circulation. C’est un point de vue respectable, défendable, issu de l’une des grandes familles politiques depuis la Révolution, le libéralisme. Le problème, c’est que cette approche, sous prétexte que les bilatérales ont été acceptées au début des années 2000 par le peuple suisse, ne fonctionne absolument pas comme une option. Mais comme un dogme. Intangible. Inattaquable. Aussi férocement défendu par les libéraux que les fondements théologiques de Nicée ou de Latran le sont par le Vatican.
Une forfaiture
En politique, doit-on accepter un dogme? Au nom de quoi la construction européenne, celle des pères fondateurs du Traité de Rome (1957), d’éminents démocrates-chrétiens allemands, italiens et même français, doit-elle dogmatiquement se plier, comme on l’exige d’elle depuis un quart de siècle, à l’idéologie libérale, dans la pire acception du terme, celle qui sanctifie le marché, nie l’Etat, renvoie le citoyen au rang de consommateur? C’est avec cette Union européenne-là, pétrie de cette idéologie, que la Suisse a signé les Accords bilatéraux. On nous l’a vendu comme un acte de foi, on a fait de la libre circulation des personnes une Arche Sainte, sacrée, intouchable. Cette démarche est une forfaiture. Parce qu’en politique, rien n’est sacré, tout se discute, tout se remet en cause. Et les citoyennes, les citoyens, doivent pouvoir à tout moment opérer cette remise en question. Sinon, autant déposer les plaques, et aller se coucher.
Croissance pour qui?
Or, en Suisse, la libre circulation, qu’a-t-elle apporté? On la dit porteuse de croissance. Je veux bien. Mais cette croissance, nous les simples citoyens, nous en avons vraiment profité? En vérité, ce grand brassage, à qui a-t-il profité? A l’ensemble de la population, par répartition de la richesse Bien sûr que non! Aux plus pauvres, aux démunis, aux précarisés, aux oubliés? Bien sûr que non! Aux personnes âgées, dont certaines, plus nombreuses qu’on ne croit, peinent à terminer le mois? Aux chômeurs suisses? Non, non et non!
Tromperie
Il y a quinze ans, on nous brandissait des «mesures d’accompagnement» pour tempérer la sauvagerie concurrentielle de cette ouverture des frontières. Ces mesures, on les cherche encore, on scrute le ciel, on n’en voit aucune. La vérité, c’est qu’on nous a trompés. On a donné tous les gages au patronat, on a sacrifié les Suisses les plus faibles, les plus fragiles, sur l’autel de la religion libre-échangiste. On a liquéfié l’Etat. On a bafoué son autorité régulatrice. Tout cela, au nom d’un dogme. Ça vous remplit de bonheur, vous?