La planète jeux est un monde à part, discret dans les médias. Ses canaux sont virtuels, avec des communautés sur des plateformes d’échange comme Discord, où de milliers de personnes se retrouvent. Toutes les générations jouent car, comme nous l’a dit David Javet, qui enseigne le jeu vidéo à L’UNIL (Université de Lausanne) et à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne), bien qu’elles estiment souvent ne pas jouer à des jeux vidéo, de très nombreuses personnes sont sur leur téléphone ou leur tablette avec des jeux de cartes en ligne.
Tout le monde s’y adonne, mais qu’en est-il des créateurs? Les grandes sociétés gèrent des milliards et font évoluer leurs succès pour attirer les fans, The Legend of Zelda, Resident Evil 4, Spider-Man 2... C’est la partie émergée de l’iceberg. Nous sommes entrés, nous dit David Javet, dans une sorte de révolution, une nouvelle manière d’interagir, comme celles que furent le passage de l’oralité à l’imprimerie, ou l’arrivée des smartphones. Le jeu en général, électronique ou en présence, comme les escape games (on doit résoudre des énigmes pour sortir d’un lieu clos) prend une place considérable dans notre quotidien.
Les institutions se sont ouvertes à ce monde. Pro Helvetia, Cineforom (Fondation romande pour le cinéma), la Migros et d’autres allouent des budgets aux créateurs.
Succès
Naraven Games en a bénéficié et sa fondatrice Julia Jeanneret reconnaît que cela lui a permis de se lancer. Venue du monde du cinéma, elle a débuté seule, dans un projet très narratif et court. Puis elle a travaillé avec des indépendants, étrangers surtout, et a produit un jeu très cinématographique, Backfirewall, l’histoire d’un smartphone qui ne veut pas être mis à jour. Produit ici, mais par un éditeur polonais qui le diffuse et Naraven Games touche des royalties. Un bon système? «Le marché est très saturé, nous dit Julia, car les jeux narratifs ne sont pas trop compliqués à faire et il y en a beaucoup.» La prochaine étape est un jeu sur fond de film d’horreur, qu’elle aimerait promotionner en direct, car la «patte» de son studio, c’est l’humour, les situations absurdes. Prendre le risque peut amener le succès. La venue de l’IA (intelligence artificielle) et ses outils gratuits va encore compliquer la tâche des créateurs locaux.
Des succès, il y en a comme Farming Simulator, où l’on construit son univers de la ferme, si prisé qu’il est désormais décliné pour les enfants. Mais pour quelques étoiles, combien de petites réussites? David Javet, cofondateur de GameLab (groupe d’étude UNIL-EPFL) observe qu’à côté de pures distractions, les demandes de créations ludiques originales et sur mesure augmentent pour des institutions comme les bibliothèques et les musées. Il remarque que les équipes locales n’ont pas les défauts des grandes marques, dont des impératifs de rentabilité les conduisent souvent à trouver des techniques pour gagner le plus d’argent possible de leurs joueurs.
Un des premiers cours est né à l’Université Fribourg pour le Joint Master in Computer Science. Maurizio Rigamonti y enseigne et constate que les étudiants sont assez réalistes et conscients de la compétition. Ils sont passionnés d’art, d’informatique, et vont plutôt agir en indépendants. Dans le domaine médical, il travaille à un jeu permettant d’inhiber les parties du cerveau liées aux addictions. Une voie à explorer pour le diabète, l’obésité, etc. «Les jeux créés en Suisse sont bien évalués, ils ont gagné des prix, mais surtout à l’étranger», note-t-il.
Coup d'accélérateur
Un coup d’accélérateur a été observé pendant la crise Covid, remarque Gabriel Sonderegger, co-créateur de Sunnyside Games. Sa start-up a débuté en 2013 et un point d’orgue est survenu en 2021. La hausse des taux d’intérêt refroidit les éditeurs, car la bulle Covid s’est dégonflée. Pourtant, les créations, selon le site d’observation SteamDB, ont atteint 14'000 nouveaux jeux publiés sur Steam en 2023 et on en attend 1000 à 2000 de plus cette année. Il faut dire que de nouveaux acteurs se présentent, notamment la Chine. Le monde du jeu «intéresse énormément, je reçois régulièrement des appels de parents qui veulent trouver un stage pour leurs enfants», souligne-t-il. Il voit une ouverture dans les «serious games», un besoin des entreprises, comme celui créé par la Mobilière pendant la fête de lutte pour ses clients. Et son entreprise? «Depuis 2013 et jusqu’à la publication de notre dernier titre Nocturnal en 2023, nous continuons notre croissance progressive, centrée sur la création de jeux qui nous passionnent, mais sans oublier les réalités du marché évidemment.»
De multiples formations
L’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) «explore les frontières du jeu vidéo, notamment à travers l’interactivité et l’expérience en temps réel», écrit Pauline Saglio, responsable du Bachelor Media & Interaction Design. Elle souligne que le nom «jeu vidéo» peut recouvrir une foule d’expériences interactives. L’IFAGE à Genève n’est pas en reste. Constatant qu’en 2019 le marché suisse avait généré 850 millions de chiffre d’affaires, le leader de la formation des adultes propose des formations certifiantes pour le développement complet de jeux vidéo. Jaouad Ibriz, responsable en Technologies de l’information et de la communication, note que la formation Game Dev a certifié une vingtaine de personnes. Pour quels métiers? «Des perspectives existent dans la réalisation d’applications mobiles pour des manifestations ou événements. De plus, les entreprises s’intéressent de plus en plus aux serious games pour la formation et le développement des compétences de leurs équipes, offrant de nouvelles opportunités aux développeurs de jeux vidéo.» Des filières? Un site les recense, de Brugg à Lugano en passant par la Suisse romande:https://www.sgda.ch/fr/formation/