Pourquoi les jeunes travailleurs plébiscitent le temps partiel

En dix ans, le temps partiel a pris l’ascenseur. Mieux, selon les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique, la progression est trois fois plus forte que celle des personnes travaillant à 100%. Les femmes restent certes majoritaires en la matière, mais la tendance chez les hommes suit une courbe exponentielle. Rencontre avec le professeur d’économie à la Haute école de gestion et à l’Université de Genève (GSEM), Giovanni Ferro-Luzzi.

GHI: Comment expliquer cette nouvelle répartition du temps de travail?
Giovanni Ferro-Luzzi: Les femmes de la génération silencieuse (celle de l’entre-deux-guerres) et une large part des boomers, optaient pour une activité partielle afin de pouvoir se consacrer aussi à leurs enfants. Aujourd’hui, il n’est pas rare que celles de la génération Z (les 25/30 ans) choisissent un taux réduit avant même que leur famille s’agrandisse. Un choix qui s’explique pour partie par la volonté de se distancier de leurs parents rompus corps et âme à leur travail. Quant aux hommes qui décident de lever le pied, c’est parce qu’ils forment d’autres projets de vie. Ils ont des activités annexes ou sont engagés dans des missions bénévoles.

Les années pandémiques ont-elles impacté la sociologie du travail?
Sans doute. L’effet Covid a induit un nouveau mode de fonctionnement professionnel. Les uns et les autres ont expérimenté une certaine autonomie organisationnelle et un changement de rythme. Enfin, le départ massif des boomers à la retraite laisse de nombreux emplois vacants. Dès lors, les jeunes, singulièrement ceux qui possèdent une solide formation, tiennent le couteau par le manche. Ils peuvent ainsi se montrer exigeants en termes de conditions de travail. Ce d’autant qu’ils sont en mesure, via les réseaux sociaux, de comparer avec leurs pairs, les avantages ou inconvénients ainsi que la grille salariale prévalant dans la catégorie des postes convoités. C’est dans cet espace virtuel d’échanges qu’ils vont aussi observer de nouveaux modèles de vie. Par exemple, un travail suffisamment rémunérateur à 60, 70 ou 80% et un accomplissement personnel qui génère ou pas d’ailleurs une autre source de revenu.

Quelles sont les professions majoritairement concernées?
Toutes celles qui peuvent s’exercer en parfaite indépendance. Le design, le marketing, la communication, le développement et la programmation informatiques ou l’élaboration de projets. En clair, ce qu’il est possible de concevoir à partir d’un ordinateur portable et qui est à forte valeur ajoutée. C’est ce que l’on appelle les employés nomades. Ils vivent à l’autre bout de la planète, dans des contrées où la vie est bon marché et fournissent leurs prestations. Schématiquement, ils peuvent profiter de la plage aux heures ensoleillées et effectuer leurs tâches au moment qui leur convient. La présence de ces collaborateurs n’est nullement nécessaire au sein de l’entreprise. Prenons le cas de l’opérateur Swisscom, près d’un de ses employés sur cinq travaille à l’étranger.

Le travail à temps partiel n’est pas sans conséquence?
Pour les salariés évidemment, il peut influer sur le montant du deuxième pilier si le salaire annuel est inférieur à 21’510 francs. Car dans ce cas, il n’y a pas d’obligation à cotiser pour ce fonds de prévoyance vieillesse. Mais, il faut relever qu’en Suisse, contrairement à de nombreux pays européens, on peut avoir exercé 10 ans à un taux réduit et réintégrer son job à temps plein. On observe ainsi que beaucoup de femmes augmentent leur temps de travail après un divorce par exemple. Le jobsharing (un même poste partagé par deux personnes) ne péjore pas les entreprises. Et ceci est aussi le cas pour des emplois de management. Tout d’abord, parce que s’agissant des charges sociales de l’employeur, le coût pour deux salariés n’est pas plus élevé que pour un seul. Ensuite, parce que dans la plupart des entreprises qui pratiquent la co-direction, le passage de flambeau se passe sans difficulté. Ce modèle est particulièrement déployé dans la fonction publique et au sein des fondations. Les privés sont encore un peu rétifs, moins quand il s’agit toutefois de postes administratifs simples que pour ceux à responsabilités.

L’Intelligence artificielle (IA) risque de donner un grand coup de pied dans la fourmilière?
A n’en pas douter, l’IA redessine les contours du marché de l’emploi. Mais, tous les employeurs ne prennent pas le virage sans circonspection. Certains hésitent car si la tâche est effectuée par l’IA et qu’une erreur se produit, qui endossera alors la responsabilité? Les algorithmes ne rendent pas de comptes à leur employeur. Or, ils peuvent manier des données sensibles possiblement monnayables par des entreprises.

Il n’empêche, dans de nombreux secteurs, l’IA va assurément prendre le pas sur l’homme?
Elle va effectuer des tâches qui incombaient jusqu’à présent à des employés en chair et en os. Mais ces derniers vont dès lors se tourner vers d’autres activités entrant dans leur domaine de compétence. Ils vont devenir plus productifs. Voilà un prisme mais il faut souligner que les avis des économistes ne convergent pas. Certains estiment en effet que l’IA ne va pas mettre les travailleurs sur la paille tandis que d’autres sont plus pessimistes.

 

Meilleur équilibre entre vie professionnelle et activités privées: ils témoignent

EMPLOI • Exigences XXL et faible implication: la génération Z est-elle réellement si éloignée du monde du travail? Quatre pré-trentenaires témoignent.

Louise, 23 ans termine un master en psychologie: «Je n’ai pas l’intention de chercher un job à 100%. D’abord parce que le métier que je m’apprête à exercer est assez éprouvant émotionnellement, ensuite parce que j’ai envie de me 
réaliser dans un autre domaine. En parallèle de mes études académiques, je me suis formée à dispenser des cours de yoga. Et je n’ai pas l’intention d’abandonner car cela participe à mon équilibre personnel. J’ai le sentiment que c’est là aussi une manière d’aider les gens à vivre mieux».

Bastien, 21 ans, a suivi un cursus en communication. «Sitôt mon diplôme en poche, j’ai d’abord effectué un long voyage de six mois en Amérique latine. Cette mise entre parenthèses m’a beaucoup aidé à réaliser ce que je voulais faire de mon existence. Je ne m’imagine pas travailler – comme 
mes parents l’ont fait – à un rythme effréné. La tête dans le guidon en permanence: très peu pour moi. J’envisage de créer un groupe musical.»

Sara 24 ans, développeuse informatique, se souvient encore d’un récent entretien d’embauche. «Après les questions d’usage, j’ai interrogé le recruteur sur les horaires et les conditions salariales. Je ne serais guère étonnée qu’il ait trouvé mes demandes incongrues voire franchement déplacées. Alors qu’il me semble assez normal de disposer de l’ensemble des données pour se déterminer.»

Samara, 23 ans exerce en qualité de juriste dans une entreprise privée. A l’issue de son parcours académique, elle a songé à devenir avocate:«J’ai beaucoup échangé avec 
des jeunes qui ont choisi cette voie. Mais la perspective de voir s’empiler des dossiers sur mon bureau ne m’attire guère. D’autant que durant le confinement, je me suis intéressée à la confection de vêtements. Sans prétention aucune, je crois tout de même que j’ai certainement disposition. Alors, je me vois bien partager mon temps entre 
les deux activités.» AG