«J’ai la nostalgie d’un monde dans lequel je n’ai pas vécu…» Raphaël Pomey souligne la confidence d’un sourire discret avant de citer Chesterton et Péguy. Eclectique. L’adjectif colle à merveille au fondateur du mensuel Le Peuple. Ce père de deux fistons de sept et dix ans aime «l’ordre naturel» en général et en particulier et dans le désordre: la philosophie, soulever de la fonte, la messe relevée de chants grégoriens, le basket de rue et ses «chambrages» ou encore déguster une entrecôte judicieusement arrosée entre amis.
Mais ce que le journaliste vaudois de 40 ans préfère encore, c’est «faire bouger les lignes». Depuis sa création en mai 2022, son mensuel conservateur, généreusement teinté de valeurs chrétiennes, y est souvent parvenu. Avec peu de moyens, pas mal de bon sens et beaucoup d’idées puisées chez les grands penseurs puis creusées. En juillet, ce média déjà riche de 12 400 lecteurs, fustigeait un concert «wokisant» tout en vulgarités organisé dans la Cathédrale lors du Festival de la Cité provoquant indignations et mea culpa en série.
Une colère fertile
Cette presse d’opinion populaire mais intelligente tranche dans un milieu journalistique penchant plutôt à gauche ou au centre. Elle fait parler d’elle en tous cas, n’enchante guère les ayatollah du progressisme et trouve ses racines dans celles de son fondateur. Raphaël Pomey est le cadet d’une fratrie de deux. Il a grandi à Vallorbe «dans une famille honnête où on lisait et on se tenait bien à table». Son père, fonctionnaire des douanes, est protestant. «Il m’a inculqué le goût du travail bien fait, jusqu’à l’excès parfois.» Sa mère est valaisanne catholique. Riche de ces héritages, leur petit dernier navigue aisément dans les milieux chrétiens locaux. Mais une colère l’habite déjà. Aujourd’hui encore, on la sent lorsque, emporté par une idée, le Vaudois vous fixe de son regard clair. «Très tôt, je me suis senti un tempérament anarchiste. A 12 ans, j’ai découvert une des grandes passions de ma vie: le basket. Je shootais parfois trois heures de suite. C’était un bon moyen de fuir la société, tout comme le rap, le punk et un certain nihilisme.»
Car avant cela, à l’âge de neuf ans, le jeune garçon est secoué par ce qu’il qualifie simplement aujourd’hui d’«accident de parcours». Un pédophile du village l’attouche. «Cet homme était quasiment un notable à Vallorbe et ses actes ont donc été couverts par une hypocrise insupportable qui a initié en moi une longue réflexion sur la société et son atomisation libérale», commente le résident de Pomy.
La tête et les jambes…
A Yverdon, il canalise sa révolte en se mettant à la muscu puis à la Kettlebell, une sous-discipline de niche, dont il sera vice-champion du monde en 2017. A l’école et au gymnase, des profs de latin-grec lui «sauvent la vie». «Ils m’ont ouvert aux sagesses antiques porteuses d’une vraie liberté dans laquelle je me suis retrouvé.» A l’UNIL, il étudiera donc la philo et la science des religions. Par un de ces hasards, que ce fervent catholique appelle providence, cela le mènera vers le journalisme. Et vers sa femme aussi, April, une doctorante en biochimie américaine, le roc qui «l’extirpera de [son] nihilisme» et sur lequel ils bâtiront une famille saine. Le journalisme est une sorte de révélation pour Raphaël Pomey. Il l’exerce au Matin Bleu, au 20Minutes puis au Matin où son esprit critique acéré fait de lui une sorte d’ovni. « Je m’étais spécialisé dans les milieux radicaux de toutes natures. Parler d’enjeux complexes comme le créationnisme dans un article de 1800 signes lus par des ados sur le chemin de l’école s’est révélé passionnant!» Déjà, son «cœur est à gauche du côté de la justice sociale» mais son âme à droite calée sur les vertus immuables sans lesquelles construire quelque chose de durable est une illusion.
Sa paternité le ramène vers la Foi de son enfance. Il la revisite et l’approfondit. «Avant cela, je savais ce que je combattais mais pas au nom de quoi…» Le jeune papa est alors porte-parole à la police de Lausanne. Suivront deux expériences de rédacteur en chef à La Région puis à La Télé. Là, Raphaël Pomey s’enfonce dans l’ennui jusqu’à voir germer «un appel» dans ce désert: «Celui de créer mon propre média pour y comprendre la logique de pensée des autres de tout bord et mettre en lumière leurs limites et leurs incohérences…» Aligner sa vie sur ses valeurs est un luxe exigeant et pas toujours immédiatement rémunérateur que bien peu s’accordent... «Mais Dieu vomit les tièdes», rappelle en riant le journaliste lorsqu’on le lui fait remarquer. Ce «dangereux modéré», comme il se qualifie volontiers, n’est pour sûr pas de cette race-là.