Y aurait-il moins de malentendants à Genève qu’ailleurs en Suisse romande? Genève serait-elle plus restrictive en termes de financements d’appareils auditifs que les autres cantons suisses? C’est en tout cas ce que laissent penser de nombreux témoignages de malentendants, dont les demandes, refusées, ont été accordées dès lors qu’ils ont déménagé dans un autre canton. «A Genève, mon cas de rigueur n’a pas été accepté, explique une malentendante qui travaille dans l’informatique. J’ai donc dû financer le surcoût d’appareils auditifs plus performants de ma poche. Lorsque j’ai déménagé dans le canton de Vaud quelques années plus tard, ma demande a été validée sans la moindre discussion et sur la base d’un dossier identique. Et je peux vous dire que je suis loin d’être la seule dans ce cas.»
Un taux d’appareillage peu élevé
Les chiffres de l’année 2020 (les seuls disponibles!) relatifs à l’octroi d’appareils auditifs par l’Office cantonal de l’assurance-invalidité (AI) confirment en tout cas ce constat. Selon les données fournies par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), en 2020 1511 personnes ont bénéficié du financement de leur appareil auditif. Rapporté à la population du canton en âge AI (de 18 à 65 ans), on obtient un taux d’appareillage de 476 pour 100’000 habitants, alors que la moyenne suisse est de… 967, pour la même année. En clair, en 2020, Genève a accordé deux fois moins d’appareils auditifs que la moyenne suisse.
Et il y a mieux. Ou pire. En 2020, Genève n’a accordé, toujours selon les chiffres fournis par l’OFAS, que 8 cas de rigueur, c’est-à-dire le financement d’appareils auditifs pour un montant au-delà du forfait maximal habituellement accordé, et ce lorsque les contingences professionnelles ou personnelles particulières des personnes qui souffrent d’un handicap auditif l’exigent. Si l’on rapporte ce chiffre à la population générale, on obtient un résultat saisissant: Genève finance ces cas particuliers dix fois moins que la moyenne suisse, bien moins que l’ensemble des autres cantons romands. A titre d’exemple, pour une population très largement inférieure, le canton du Jura en a accordé 11.
Un contrôle au cas par cas
«Nous accordons des prestations, y compris en lien avec les appareils auditifs, lorsque les conditions d’octroi sont réalisées, dans le strict respect des directives fédérales et conformément au droit», justifie Jean-David Curchod, responsable communication et relations clients de l’Office cantonal des assurances sociales (OCAS). Il ajoute: «Nous n’avons pas d’éclairage particulier à apporter sur les différences cantonales concernant l’octroi de ce type de prestation.»
Pour essayer d’en savoir plus, c’est donc vers l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) qu’il faut se tourner. Et en ce qui concerne la fourniture générale d’appareils auditifs, l’Office tempère les chiffres que nous avons calculés en expliquant que «les cas de droits acquis à l’âge de l’AVS faussent l’image». Et de fournir des chiffres qui comparent les prises en charge uniquement par l’AI avec la population de moins de 65 ans. Mais, là encore, même si l’écart est moins criant, Genève reste en dessous de la moyenne suisse, avec 0,219% de la population fournie en appareils en 2020 contre 0,338% pour l’ensemble de la Suisse.
«En ce qui concerne les cas de rigueur, les décisions demandent un contrôle au cas par cas et chaque situation est différente, indique Harald Sohns, chef suppléant communication de l’OFAS. La réglementation en vigueur et les critères de décision sont complexes. De plus, les audioprothésistes jouent également un rôle important. Selon les régions, ils justifieront plus ou moins fréquemment des cas de rigueur. Tous ces constats peuvent induire des différences de traitement dans les décisions de prestations.»
Aux yeux du Dr Pierre Liard, président de l’Association genevoise des malentendants, «les disparités dans les chiffres appellent au moins à une plus grande transparence et une plus grande rigueur dans leur collecte et leur analyse, afin que l’égalité de traitement soit garantie à tous les malentendants, en particulier ceux de Genève. Ce n’est pas le cas pour l’instant et cela ne peut qu’entretenir les soupçons sur le strict respect des directives fédérales.»