En difficulté, la vente en vrac organise la résistance

COMMERCES • Les consommateurs délaissent les étals des petits magasins qui pratiquent la vente sans emballage. Soutenue par les autorités, la branche cherche des solutions.

  • Dans le quartier de Plainpalais, l’épicerie Tinana a dû fermer boutique. MP

    Dans le quartier de Plainpalais, l’épicerie Tinana a dû fermer boutique. MP

«Liquidation totale. Arcade à remettre» Sur la vitrine de l’épicerie Tinana, à deux pas de la plaine de Plainpalais, le message est clair. L’enseigne est contrainte de mettre la clé sur la porte en raison de difficultés financières après seulement 4 ans d’activité, comme l’a révélé Léman Bleu. Loin d’être un cas isolé, cette fermeture est révélatrice d’une tendance: après le Covid, de nombreux petits commerces spécialisés dans la vente en vrac font aujourd’hui face à une chute de leur fréquentation qui met en péril leur survie et les contraint à chercher des parades.

C’est ce que confirme Laurianne Altwegg, responsable environnement auprès de la Fédération romande des consommateurs (FRC), qui tient une base de données pour répertorier les magasins proposant du vrac. «Nous avons reçu plusieurs annonces de fermetures d’enseignes qui ne s’en sortent plus. Mais aussi des messages de consommateurs qui s’inquiètent de ce recul et nous écrivent pour comprendre la situation.»

Retour au travail

Pour la Fédération, cette tendance, également observée en France, aurait de multiples causes. «Qu’il s’agisse de l’inflation ou d’une trop grande concurrence, il est difficile de connaître avec précision les raisons de cette baisse, en tenant compte du modèle de fonctionnement parfois très différent des enseignes concernées. Proposer un assortiment bio et local dans un centre urbain n’est en rien comparable à un magasin axé sur des produits conventionnels importés et situé en périphérie», détaille Laurianne Altwegg.

La FRC pointe toutefois chez les consommateurs un changement d’habitude depuis la fin de la pandémie. «Avec le retour au travail, les gens ont moins de temps pour ce type d’activité. Faire du vrac demande de l’organisation: il faut avoir des récipients, les laver, les prendre avec soi, anticiper sa consommation… Pour de nombreux ménages, se rendre au supermarché permet d’aller plus vite, puisque toutes les denrées sont réunies au même endroit», résume la Fédération.

«Plus près et plus pratique»

Un constat partagé par les autorités cantonales, qui promeuvent la vente en vrac depuis plusieurs années, notamment à l’occasion de campagnes ciblées sous la bannière Emportons malin. Objectif premier: encourager la réduction de déchets à la source. «On sent une certaine lassitude liée à la reprise après le Covid. Fréquenter des petits commerces demande de l’engagement. Aujourd’hui, les gens vont au plus pratique», observe Zoé Cimatti, cheffe de projet et ingénieure en gestion de déchets pour le Canton.

Pas de quoi empêcher l’Etat de poursuivre son action en faveur du vrac pour autant. «Nous n’allons pas lâcher l’affaire et espérons pouvoir poursuivre nos campagnes en faveur de ce type de consommation, comme nous l’avons fait l’année dernière au marché de Noël de la Ville de Genève et dans des centres commerciaux. Car si nous continuons sur cette pente descendante, il n’y aura plus de lieux supportant les changements d’habitudes nécessaires pour réduire les déchets», explique Zoé Cimatti.

Les autorités cantonales sensibilisent également à l’importance d’un étiquetage adéquat et disponible, un élément primordial pour garantir la confiance des clients. «En cas d’allergie ou d’intoxication, il est important d’avoir accès à ces informations, par exemple en prenant une photo de l’étiquette au moment de l’achat.»

«Comment sauver notre activité?»

Un soutien salué par les petites enseignes en difficulté, qui enregistrent des baisses importantes de leurs chiffres d’affaires. «C’est une bonne chose. Aujourd’hui, tous les prix ont augmenté et nous perdons entre 30 et 50% de notre chiffre d’affaires. La situation est tellement compliquée qu’on se demande comment sauver notre activité», témoigne Mariana, une des deux patronnes du magasin Nature en Vrac, situé sur la place des Grottes.

Pour faire face à ces difficultés, l’épicerie cherche à se réinventer. «Nous explorons plusieurs pistes, par exemple en développant notre présence en ligne. Mais aussi en privilégiant certains produits plus durables ou moins chers», précise-t-elle. Enfin, Mariana rappelle qu’en fréquentant ces petits commerces, le consommateur a de meilleures chances de recevoir des conseils personnalisés. «C’est un aspect à souligner et à développer, si nous voulons continuer d’exister», conclut la responsable.

Les grandes enseignes préservées?

TR • Contrairement aux petites épiceries de quartier, la vente de vrac semble se maintenir au sein des grandes enseignes. «Nous ne ressentons pas de baisse dans le domaine des aliments non emballés», assure Pablo Esquinca, pour la Migros, qui reconnaît tout de même que la part du secteur bio sans emballage est encore «faible» dans ses rayons. Son secret pour éviter le même sort que ses concurrents: «Nous continuons à enthousiasmer nos clients avec de nouveaux articles et concepts passionnants», répond-il, un brin énigmatique.