«Jeune fille, 19 ans, ouverte à tous les fantasmes. Rencontre discrète et pas chère», «Salut moi c’est Paula.
150 euros pour la nuit», «Viens nous parler avec mes copines. Click sur ce lien pour des rencontres torrides». Sur les sites de rencontres et autres applications mobiles, comme Tinder, Happn ou Fruitz, les profils qui vendent des prestations sexuelles sont devenus monnaies courantes. Depuis quelques années, c’est tout un pan de la prostitution qui s’est déplacé sur Internet et qui opère désormais loin de la rue.
Et de nombreuses influenceuses vantent ce commerce en ligne particulièrement lucratif, cherchant même à convaincre les plus jeunes. Si ce changement de mœurs séduit tant les prestataires que les clients, attirés par une transaction jugée plus sécurisée, il n’est pas exempt de risques.
Contrôles sur Internet
D’ailleurs, la Brigade de lutte contre la traite d’êtres humains et la prostitution illicite (BTPI) effectue désormais aussi des contrôles sur Internet, parfois avec d’autres brigades de la police judiciaire. Une tâche qui est venue s’ajouter à la surveillance de la prostitution qui s’exerce dans la rue ou dans des établissements. «Un ajustement de notre manière de fonctionner a été nécessaire. Il s’avère plus compliqué d’avoir une vue complète de certains phénomènes, mais nous avons fait évoluer nos méthodes d’investigations afin de compenser cette difficulté», indique un responsable. Pour la BTPI, il s’agit notamment de s’assurer de la légalité des différentes offres. «Si un profil virtuel vise à mettre en contact des prostituées et des clients, alors la personne active derrière ce profil devrait être préalablement autorisée par la Brigade et être enregistrée en qualité d’agence d’escortes pour pouvoir déployer son activité dans le canton.»
Plus largement, la BTPI tente de suivre tous les types de pratiques en lien direct avec la prostitution à Genève. «Les nouvelles technologies, très évolutives et innovantes, nous obligent à rester continuellement attentifs. Nous pouvons pour cela solliciter l’aide, au besoin, de nos collègues de la Brigade de criminalité informatique.»
Tournées en ligne
Du côté associatif, le virage informatique a lui aussi été pris depuis plusieurs années. L’Aspasie, qui défend les intérêts des travailleuses et des travailleurs du sexe à Genève, a mis en place un système de tournées virtuelles sur Internet. Objectif: effectuer des veilles sur ce qui est proposé sur les plateformes d’annonces, aller sur les sites des agences et des salons, ou à la rencontre de travailleurs du sexe directement, évaluer leurs besoins, promouvoir la santé ou encore prodiguer des conseils en matière de sécurité professionnelle. «Cela concerne tous les sites d’annonces classiques. Concrètement, ces tournées nous permettent d’entrer en contact avec les personnes concernées. Nous vérifions aussi que les agences ou les salons ne fassent pas de promotion des pratiques à risques, par exemple en «vantant» la possibilité de rapports non protégés», précise Pénélope Giacardy, coordinatrice auprès de l’association. Un travail complexe, d’autant que les clients en ligne ne sont pas forcément ceux qui fréquentent les lieux plus classiques. «Ce ne sont pas non plus les mêmes prestations, souligne l’Aspasie. En ligne, il y a souvent une prise de rendez-vous et la prestation est généralement de plus longue durée. Dans la rue, cela se fait plutôt à la prestation.»
Véritables entrepreneurs
Autre différence, sur Internet, les travailleurs du sexe doivent maîtriser diverses compétences. «On est dans la dynamique d’un entrepreneur. La gestion en ligne est différente: il faut assurer la communication, la planification et cela soit opérationnel. Tous les témoignages évoquent un travail supplémentaire», observe l’Aspasie.
Pourtant, malgré les contrôles et le soutien de l’Aspasie, le travail du sexe en ligne n’est pas sans danger. «Internet peut paraître plus sûr. Mais il y a d’autres risques. Il s’agit par exemple du droit à l’image, de la diffusion de vidéos volées, ou encore de harcèlement par téléphone ou sur les réseaux sociaux. Tout cela arrive malheureusement de plus en plus souvent», déplore Pénélope Giacardy. Qui préconise une meilleure sensibilisation. «Une fois en ligne, on ne maîtrise plus son image. Il faut bien réfléchir avant!»
Une problématique également étudiée de près par Salomé Donzallaz, docteure en lettre et en sciences humaines, et autrice d’une thèse portant sur le travail du sexe et sur les transactions économico-sexuelles. «L’idée était de penser comment les transactions numériques, qui se passent uniquement en ligne, modifient les pratiques et les territoires, mais aussi les représentations du travail du sexe», explique-t-elle.
Jugement moral
Premier constat: «Il n’y a pas de vase communicant entre le travail du sexe dans la rue et celui qui se pratique en ligne. Il peut y avoir des liens, mais ils restent relativement rares. Lorsqu’on achète ou qu’on vend une prestation, on peut subir un jugement moral. Le canal numérique permet en quelque sorte d’éviter ça, en contournant l’espace public», détaille Salomé Donzallaz.
Ce qui ne signifie pas qu’il est plus sécurisé. «Ce n’est pas une pratique anodine. En plus des questions liées à l’anonymat, bien souvent, on ne sait pas comment peuvent être utilisées les images vendues, ni où elles sont stockées. Dans de nombreux cas, elles peuvent être volées et rediffusées sur des grosses plateformes. Souvent, on ne se rend pas compte à quel point on s’expose.»
Pourtant, le sexe sur la toile présente tout de même des avantages, comme le souligne Salomé Donzallaz: «Internet permet de diminuer les contacts, rendant le niveau de sécurité plus intéressant.»
Absence de statistiques
A la question de savoir combien de professionnels du sexe exercent dans les rues ou établissements genevois, tous nos interlocuteurs bottent en touche. Le marché serait trop fluctuant pour établir des statistiques précises. Impossible aussi de savoir combien de prestataires existent en ligne (lire encadré). Mais, tout le monde s’accorde sur l’ampleur du phénomène, et sur la nécessité de le surveiller de près.