Pour certains patrons, les réductions d’horaire de travail (RHT) s’apparentent à un puits d’argent sans fond dans lequel on peut se servir sans vergogne. C’est le sentiment de Gérard*, un quadragénaire employé de longue date dans une PME active dans la finance: «Au début, cette réduction de l’horaire de travail était justifiée. Nous étions quasiment à l’arrêt, mais depuis plus d’un mois, je travaille à nouveau à 100% et mon employeur continue de percevoir ces indemnités. Je suis allé m’en plaindre au directeur des ressources humaines. Il m’a gentiment fait comprendre que je ferais mieux de garder le silence si je tenais à mon job.»
Pratique scandaleuse
Gérard n’est pas un cas isolé. Laura*, engagée au début de l’année dans une agence de communication, constate les mêmes dérives: «Il ne faut pas chercher très loin. Mon entreprise profite de la situation pour grappiller quelques dizaines de milliers de francs. Ma cheffe me l’a dit très clairement: les RHT permettent de récupérer facilement du cash. Je compte poser ma démission ces prochains jours car je trouve cette pratique tout simplement scandaleuse.»
Scandaleuse et surtout illégale comme le rappelle Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES): «C’est un délit passible de l’emprisonnement et de l’amende. Les employeurs n’ignorent pas que de telles pratiques sont des escroqueries à l’assurance chômage passibles de sanctions pénales. Il est toujours possible, si l’on n’est pas certain de pouvoir assurer une reprise totale d’activité, de reprendre une partie seulement du personnel. Ce dernier ne peut cependant plus donner droit aux RHT.»
Contrôles rétroactifs
Selon Laura, son entreprise préfère largement bénéficier des RHT tout en ayant des employés pleinement opérationnels: «Ma cheffe se moque des sanctions, elle estime qu’en télétravail, les employés ne peuvent pas être contrôlés. Ce qu’elle oublie, c’est que nous pouvons dénoncer ces pratiques.»
Et de tels cas se sont déjà produits depuis le début de la pandémie comme le précise Mauro Poggia: «Nous avons des situations qui nous ont été dénoncées et les enquêtes sont en cours.» Avant de mettre en garde: «Les contrôles sont effectués par la Caisse cantonale de chômage, appuyée par les inspecteurs de la police du commerce et, si nécessaire, par la police judiciaire. Les employeurs doivent bien être conscients que leurs employés ne sont pas dupes et qu’en cas de licenciement, même des mois ou des années après la fin des mesures liées à la pandémie, ils ne manqueront pas d’indiquer quelles ont été leurs périodes d’activité. Il sera alors facile de savoir si des RHT ont été versées à ce moment-là.»
Un avertissement qui réjouit Gérard: «Les RHT sont là pour éviter les licenciements et non pour obtenir facilement des liquidités alors que les employés bossent comme des malades. Mais cela ne m’étonne pas, c’est dans les crises que l’on découvre toutes les facettes de la nature humaine. Et parfois, ça fait peur.» * noms connus de la rédaction