Annemasse construit son école d’infirmières... sans Genève

GRAND GENÈVE • Un temps franco-genevois, le projet verra le jour à Ambilly sans le soutien financier du Canton. Avec l’espoir côté français de conserver tout ou partie du personnel soignant qu’il aura formé. Explications.

  • Le nouveau bâtiment est prévu pour accueillir près de 800 étudiants. DFA.ARCHITECTES

Nom de code: IFPS (comprenez: Institut de formation des professionnels de santé). Démarrage du chantier: 21 juin. Lieu: rue de la Fraternité, à Ambilly (Haute-Savoie). C’est en effet juste de l’autre côté de la frontière que se prépare la future structure chargée de former les infirmiers et aides-soignants de demain. Un projet qui ne date pas d’hier et qui verra finalement le jour sans la participation financière de Genève.

D’une surface d’environ 4000 m², le nouveau bâtiment, «fruit de la collaboration entre le Centre hospitalier Alpes-Léman (CHAL) et Annemasse Agglo», est prévu pour accueillir près de 800 étudiants. «On va passer de 108 à 120 étudiants en soins infirmiers dans un premier temps. Peut-être plus, précise Christian Dupessey, maire d’Annemasse et président du Pôle métropolitain du Genevois français (qui réunit les collectivités territoriales françaises entourant Genève). On aura aussi des aides-soignants qui vont atteindre une promotion de 100.» L’espace baptisé «Grand Forma» attend quant à lui près de 250 étudiants dans d’autres formations.

Ouverture à la rentrée 2025

L’IFPS devrait ouvrir à la rentrée 2025. «C’est un bâtiment emblématique qui sera un signal au sein du quartier de l’Etoile Annemasse-Genève», poursuit l’élu de France voisine. Coût total de l’opération: 20 millions d’euros (toutes taxes comprises), financés par les deux maîtres d’ouvrage, le CHAL et Annemasse Agglo, avec une participation du Département de la Haute-Savoie, de l’Etat et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes.

Christian Dupessey souligne: «On va faire l’effort de formation nécessaire pour répondre aux besoins tout en sachant qu’il y a toujours des gens qui partent exercer de l’autre côté de la frontière, les salaires étant très intéressants (ndlr: les infirmier(e)s sont en classe 15 soit entre 6700 et 9000 fr. par mois). Je ne leur jette pas la pierre.» Conscients de cette problématique transfrontalière (lire l’encadré), les autorités du Grand Genève ont, un temps, envisagé la création d’une école franco-genevoise ou, a minima, une contribution financière de Genève pour «compenser». En vain.

Afin de tenter de conserver leurs troupes, les autorités françaises mettent tout de même en place différentes mesures. «On va essayer de fidéliser ce personnel par des conditions de travail plus agréables au sein des centres hospitaliers: motivations, promotions mais aussi crèches annexées à l’hôpital ou encore aide pour trouver un logement», détaille l’élu de France voisine.

S’ajoute aussi la proposition formulée fin 2022: «J’ai proposé, au nom du Pôle métropolitain, d’obliger les gens qui ont été formés en France à exercer pendant cinq ans dans notre pays avant de pouvoir éventuellement aller à l’étranger donc à Genève.» Où en est cette mesure? «Elle est enregistrée par le ministère. Elle n’est pas encore en application. Ils cherchent sans doute toutes les règles qui pourraient permettre de la faire fonctionner», conclut-il.

60% du personnel soignant genevois habitent en France

MP • Interrogés sur cette problématique, le directeur de la Santé, Adrien Bron et les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) font le point. Actuellement, 60% du personnel soignant genevois habitent en France. «Il faut toutefois garder à l’esprit que cette catégorie inclut également des Suisses domiciliés en France, des binationaux et des personnes d’autres nationalités», précisent les HUG.

Et d’indiquer que «comme tout hôpital de Suisse, les HUG font face à une pénurie de soignants formés et expérimentés». Adrien Bron rappelle que la planification sanitaire cantonale 2020-2023 estime entre 640 et 710 personnes (toutes professions confondues) le besoin annuel en personnel pour les institutions de santé du canton.

«La politique de formation genevoise vise à diminuer sa dépendance aux personnels soignants diplômés à l'étranger en augmentant ses propres capacités de formation et en promouvant les métiers de la santé sur son territoire, poursuit-il. Cette politique a permis, notamment de doubler la capacité de formation des infirmiers et infirmières en dix ans.»

S’ajoutent des possibilités via l’apprentissage. «Tous ces efforts contribuent à améliorer la situation. Cela dit, il est utopique de penser que le canton sera un jour totalement autosuffisant», lance Adrien Bron.

Enfin, concernant la proposition du Pôle métropolitain genevois, le directeur de la Santé tout comme les HUG estiment qu’il s’agit d’une mesure «compréhensible et légitime». Toutefois, selon Adrien Bron, «cela ne réglera pas le problème. Dans les faits, il ne s’agit que d’un coulissement de quelques années avant d’avoir accès au marché suisse». Et de rappeler que «les institutions de soins publiques se sont engagées à ne pas débaucher du personnel en emploi dans les établissements de France voisine». Une règle qu’appliquent les HUG. «Cela n’empêche pas bien sûr les jeunes Français de trouver des emplois en Suisse soit dans l’intérim soit dans les établissements privés», souligne Adrien Bron.