C’est un massif en pierres d’une taille imposante qui forme un triangle, voire, pour les plus romantiques, un cœur. Caché au sous-sol de l’église de Plainpalais, ce vestige est unique. Il s’agit d’une pointe des fortifications qui entouraient la cité au temps de Calvin. Or, comme le précisait Radio Lac en octobre, les archéologues n’avaient jusqu’alors jamais découvert de pointe de «ravelin» ou «demi-lune», comme on appelle ce système de défense.
En ce début mars, le chantier bat son plein à tous les étages de l’édifice religieux. Objectif: rénover le Sacré-Cœur qui avait subi d’importants dégâts suite à un incendie le 19 juillet 2018 et permettre sa réouverture en 2024. Si la toiture est terminée, au sous-sol, les ouvriers s’activent. C’est ici, dans ce qui sera à terme un local technique que le trésor archéologique a été découvert, en juillet 2022. «On ne s’y attendait pas. En tout cas, pas à cet endroit-là», souligne Philippe Fleury, le président du conseil de paroisse du Sacré-Cœur, propriétaire de l’église.
Auteur de la découverte, José Buchmann, le conducteur de travaux raconte: «On était en train de casser le dallage existant. Tout à coup, j’ai foulé le sol avec le pied et je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose. Je me suis dit que ça faisait partie des remparts!» Une première pour lui en plus de seize ans de métier. «C’est rare!», confirme-t-il, tout sourire.
«Pour eux, c’était le Saint-Graal»
Et, ce ne sont ni les services des monuments et sites, ni ceux de l’archéologue cantonal qui le contrediront. «Pour eux, c’était le Saint-Graal, lance José Buchmann. Ils étaient impressionnés et enthousiastes. Ils ont fait des relevés, ils ont tout analysé et documenté avant de nous laisser reprendre le chantier après une semaine et demie d’arrêt.»
L’archéologue cantonal Nathan Badoud confirme l’intérêt de cette pointe. «Depuis la fin de l’Antiquité, Genève n’a cessé d’être une ville forte. A partir de la Réforme, d’importantes fortifications sont érigées. L’objectif: s’adapter à l’évolution de l’artillerie, notamment à l’apparition des boulets de canon en métal.» D’où la construction de ce système de fortification en V. «Pour résumer: on se défend en profondeur et non plus en hauteur, indique l’expert. A noter qu’à cette fonction militaire s’ajoute une fonction symbolique. Ces remparts incarnent la Réforme. Celle que Genève protège contre le catholicisme.»
Remparts détruits au XIXe
C’est au XIXe siècle, avec la révolution fazyste, que les remparts sont détruits, dans le but de permettre à Genève de se libérer de ce carcan et de se développer. «Voilà pourquoi il reste très peu de traces de l’imposante enceinte qui entourait la cité», stipule Nathan Badoud. Et, du même coup, voilà pourquoi cette pointe de ravelin est si intéressante. «Pour nous, c’est un repère majeur pour comprendre l’urbanisme et l’évolution de Genève. D’autant que le fait que cela soit une pointe nous a permis de caler précisément la position des fortifications sur notre carte, et ainsi de mieux anticiper les découvertes à venir.» Autre intérêt: l’analyse des matériaux composant ce morceau de rempart. «Il a été façonné à base de gros blocs de molasse et de blocs de rivières. De quoi absorber les tirs de boulets.»
Pour toutes ces raisons, le vestige sera conservé. «On a légèrement revu les plans en fonction», confirme Philippe Fleury. Toutefois, il ne sera pas accessible aux visites. «De toute façon, c’est hyper-intéressant d’un point de vue archéologique et historique mais pas très impressionnant pour le grand public.» Un compromis qui satisfait pleinement l’archéologue cantonal.