Afférée mécaniquement et depuis des décennies au Canton et aux communes, Ville de Genève en tête, la culture a mis de l’ordre dans son organigramme. Réglant non seulement une apparente confusion dans un secteur budgétisé à environ 260 millions de francs par an, mais encore contraignant l’Etat à mettre la main à la poche. Un tour de force, si on en juge par le temps nécessaire à faire aboutir le nouveau projet de loi, finalement voté en juin 2023 et piloté par Thierry Apothéloz, chef du Département cantonal de la cohésion sociale. Pour autant, cette redistribution des rôles lie-t-elle les mains de la Ville? On en parle avec le conseiller administratif, Sami Kanaan.
GHI: Une loi qui harmonise les rôles de chaque entité publique, il était temps. Sans être une prérogative régalienne, la culture n’a-t-elle par essence une vocation cantonale?
Sami Kanaan: Certes. Mais si on remonte le fil de l’Histoire, c’est la Ville qui au 19e siècle a joué le rôle d’incubateur, base de son action prépondérante dans ce domaine. C’est donc à cette époque que les élites ont misé sur la cité pour développer une offre culturelle. Jusqu’à l’entrée en force de l’initiative constitutionnelle «Pour une politique culturelle cohérente à Genève», il y a eu une succession de postures différentes, certains magistrats préconisant une cogestion Canton et Ville de la chose culturelle, d’autres considérant que l’Etat n’avait pas à s’en mêler.
Qu’est-ce que la nouvelle loi change fondamentalement?
L’Etat devient le coordinateur, en concertation avec la Ville et les autres communes. Un partenariat public fort sera mis en place pour l’ensemble du domaine culturel, ce qui couvre aussi de grandes institutions comme le Grand Théâtre, le Musée d’art et d’histoire et la Bibliothèque de Genève. En termes financiers, cela change complètement la donne. Le Canton devrait injecter 11 millions de francs d’argent frais (sur 4 ans), dont 7,6 millions en 2024 et le solde en 2025-2026, ainsi que des contributions d’investissement pour les grands chantiers.
Cette co-gouvernance suppose que tous les acteurs autour de la table partagent la même vision?
Oui! En vérité, elle incitera aussi le Grand Conseil à mieux s’approprier la politique culturelle. Car la crise sanitaire a aiguisé l’appétit des Genevois pour toutes les formes de créations artistiques. Jamais les institutions culturelles, les grandes manifestations – comme la Nuit des Musées créée en 2013, la Fête du Théâtre, la Fête de la Musique, ou le festival Plein-les-Watts n’ont drainé autant de participants qu’après les années Covid. Observez ce qui se passe dans les grandes communes: dès que le nombre de leurs habitants augmente, elles investissent dans des centres culturels. Après Onex et Meyrin, Vernier devrait inaugurer en 2026 son Centre culturel. En fait, la plupart des communes sont dans une formidable effervescence culturelle. Enfin pour les acteurs culturels, l’aide financière de l’Etat est un facteur d’équilibre et de pérennité.