«J’ai l’impression que Béyoncé, Louane et Lady Gaga improvisent un concert dans mon salon.» Hélène, 34 ans, réceptionniste, raconte comment chaque soir, avec la régularité d’un métronome, les trois reines des charts viennent, bien malgré elles, chahuter le calme de l’immeuble. La jeune femme, qui a emménagé au cœur de la ville il y a trois mois, hésite à requérir l’intervention de la régie immobilière. «Je déteste les querelles de voisinage. Et puis, un rappel à l’ordre risque d’envenimer la situation.» Alors? Elle fait contre fortune bon cœur.
Nuits troublées
Autre temps, autre lieu, autre problématique. «A Thônex, nous sommes un millier de personnes résidant au chemin des Deux-Communes. La nuit, du jeudi au samedi, une bande de jeunes nous empêche de dormir et nous pourrit la vie. Ils vocifèrent, hurlent, font exploser des pétards». Cette fois, c’est Jacqueline* qui parle. Avec un groupe d’habitants, elle a sollicité la police municipale et le 117. «Les autorités communales ont été avisées. En vain. Nous avons le sentiment amer d’être abandonnés et que les institutions sont impuissantes.»
Certes, mais pour Marc Kilcher, conseiller administratif de Thônex, la problématique du quartier des Deux-Communes est historique au sens où depuis toujours, la gestion des cours, allées et pourtours des immeubles est complexe quand de nombreux acteurs sont présents sur le site, à savoir les régies en charge des immeubles, des communs, le canton et la commune. «Des adolescents du quartier âgés de 15 à 17 ans investissent régulièrement ces lieux rejoints par de nombreux jeunes gens venant d’autres points de la commune. Je ne peux évidemment pas évaluer l’intensité du bruit qu’ils génèrent mais je comprends l’exaspération des habitants.»
Dès lors, l’Exécutif thônésien n’est pas resté les bras croisés. Il a agi sur trois axes. Tout d’abord, en multipliant les passages des patrouilles de polices municipale et communale, tout en renforçant dans le même temps, la présence de travailleurs sociaux hors mur (TSHM). Ensuite, en mettant en place – elle sera inaugurée à la rentrée – un lieu d’accueil pour les 13-15 ans qui pourront dès lors pratiquer des activités encadrées. «Nous espérons ainsi répondre à une demande des adolescents, même s’il est impossible d’agréger les plus rebelles», confie l’élu.
Enfin, Thônex a lancé, il y a deux ans, un projet novateur. De quoi s’agit-il? A partir de 15 paramètres (digicode, entretien des espaces communs), la commune effectue un classement des régies qui ont consenti le plus d’efforts dans ces domaines. «Nous remettons ensuite un prix aux entreprises immobilières les plus méritantes», ajoute Marc Kilcher.
Ebats conjugaux
Au palmarès des querelles de voisinage, on le voit, le bruit se hisse aux premières places. Isabelle Raboud, présidente de l’Association genevoise de médiation (AsMéd-GE), basée sur le bénévolat et la gratuité décrit pêle-mêle les situations conflictuelles qui lui sont soumises principalement par les régies, la police municipale et l’Association des locataires (ASLOCA). «Ici un enfant qui tape sur un objet sonore sur le coup des 21 heures. Là, un autre qui a décidé de faire du vélo en heurtant des meubles, des stores bruyants ou des chaises traînées sur le sol. Et encore? Des fêtards qui discutent à trop hautes et trop intelligibles voix sur leur balcon. Sans oublier les ébats conjugaux qui franchissent les murs des alcôves. Autant de situations qui mettent les nerfs en pelote des personnes sensibles aux décibels. «Après un fléchissement du nombre de cas enregistrés par l’association au début de l’an dernier, il semble que les conflits entre voisins reprennent l’ascenseur», souligne la médiatrice. La situation est-elle désespérée pour autant? L’As-Méd-GE, qui recueille les doléances téléphoniquement 7j/7 et assure une permanence à Chêne-Bougeries les jeudis (de 18h30 à 20h), se montre opportunément confiante. Dans plus de 70% des cas en effet, les médiateurs parviennent à pacifier les relations. Et quand les situations s’enlisent? «C’est souvent parce que les personnes incriminées refusent d’entrer en matière, qu’elles redoutent de ne pouvoir canaliser leur propre colère ou que le conflit, latent depuis longtemps, a dégénéré .»
Le spectre de l’amende
Si la médiation constitue le premier acte d’un arrangement entre voisins, elle n’est pas la voie privilégiée par les victimes de fauteurs de trouble. Après le 117 (voir encadré en chiffres), la police municipale se retrouve régulièrement au front. «Nous répondons à toutes les requêtes sans exception. S’agissant du bruit à domicile, après un premier avertissement, si la nuisance perdure alors nous infligeons une amende», explique la commandante Christine Camp. La responsable de la police municipale de la Ville de Genève observe que la population est devenue à la fois plus réactive et moins tolérante au bruit du voisinage comme de la rue. «Les gens semblent plus sensibles aux éclats de voix, à la musique dopée par des amplificateurs, aux conversations qui s’éternisent sous les fenêtres des appartements. Le problème est d’autant plus aigu lorsque les immeubles sont mal isolés.»
L’été pourtant, la pollution sonore prend naturellement ses quartiers en extérieur. «Nous veillons, en concertation avec les propriétaires d’établissements publics, à ce que les noctambules ne prolongent pas la soirée sur le trottoir après la fermeture des terrasses. Mais pour la représentante de l’ordre, le réchauffement climatique instille peu à peu un nouveau mode de vie. La population surinvestit l’extérieur avec pour conséquence une recrudescence des cas de tapages nocturnes.
AsMéd-GE: www.mediation-voisinage.ch
*Prénom d’emprunt d’une personne connue de la rédaction