Triste spectacle: la Rade de Genève part à vau-l’eau
À la uneRédigé par Tadeusz Roth
Tags, saleté, rouille: des Bains-des-Pâquis au Jet d’eau, le mauvais état des aménagements interpelle. Les autorités promettent du changement. La Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers collabore avec «Projet Genève» pour redynamiser le bout du lac.
Autour de la Rade, de nombreux éléments du mobilier urbain manquent d’entretien. TR
«C’est sale. Quand on voit ça, on n’a plus envie de venir se promener ici!» Jean-Claude, un retraité genevois ne décolère pas. La cause? L’état déplorable dans lequel se trouve le mobilier urbain de la Rade, une réalité peu attractive pour les touristes. «Et ça dure depuis des années», témoigne le Genevois. Un constat confirmé lors d’une rapide promenade avec notre interlocuteur. On découvre des rambardes rouillées, une prolifération de tags, des luminaires non remplacés, de nombreux trous dans le sol, de la fiente sur les différents panneaux d’informations ou encore des lettres manquantes sous la statue de l’Impératrice Sissi. «Maintenant, on préfère aller sur le Salève ou à la campagne. Comment nos autorités ont-elles pu laisser l’image de carte postale se dégrader autant?», s’interroge le citoyen observateur.
Des interrogations partagées par de nombreux commerçants de la place, qui regrettent le manque de propreté et de vision pour ce lieu. «Maintenant qu’il y a de la place, depuis qu’on a fait enlever les cabanes de pêcheurs près du Jet d’eau, pourquoi ne pas prévoir un vrai aménagement, digne de ce nom?», s’étonne un glacier. «Ça manque de restaurants au bord de l’eau ou de lieus pour boire un verre. Il n’y a qu’à Genève que nous avons une rade aussi triste», souffle un serveur en pleine pause cigarette.
«Pas acceptable»
Contacté, le président de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève, Laurent Terlinchamp regrette lui aussi le manque d’entretien de ce lieu. «Ce n’est pas une situation acceptable. Il va bien falloir qu’on trouve quelque chose pour rendre la Rade plus attrayante», estime le président. Qui précise ne pas être dans une démarche de critique, mais plutôt dans une quête de solutions.
Pour cela, la faîtière collabore avec «Projet Genève», une association dont le but est de redynamiser le canton. «Il ne devrait y avoir que des gagnants: la population et le tourisme», espère Laurent Terlinchamp. L’association poursuit un double objectif: d’une part, développer des animations sur le plan sportif, économique et culturel et, de l’autre, aménager les différents quais. Membre du comité central de «Projet Genève», le PLR Darius Azarpey ne mâche pas ses mots. «Aujourd’hui, on a un peu honte. A deux pas du Jet d’eau, on prend son café dans un container. C’est fou d’imaginer que nous avons une des suites d’hôtel les plus chères du monde, et que lorsque les clients en sortent, le glacier se trouve dans un gros cube métallique. Il faut offrir aux commerçants et aux touristes des bonnes conditions!», considère le jeune élu.
Concrètement, l’association souhaite lancer des projets et publier des bilans réguliers. Son projet phare: des Fêtes de Genève 2.0, mises au goût du jour. «Actuellement, ce sont les privés qui doivent gérer tous seuls. Notre objectif est qu’il y ait une réelle réflexion avec tous les acteurs concernés, notamment Genève Tourisme, un de nos partenaires privilégiés, de sorte à avoir une vraie vision.
Corriger le tir
De leur côté, les autorités municipales se veulent rassurantes. Le Département de l’aménagement, des constructions et la mobilité (DACM) se dit au courant des différents problèmes et annonce sa volonté de corriger le tir, notamment en ce qui concerne les lettres manquantes au pied de la statue de Sissi. «Une commande est en cours d’exécution auprès d’un atelier genevois. Son délai indicatif pour le remplacement des lettres manquantes est fin août», assure Marc Moulin, collaborateur personnel de Frédérique Perler, à la tête du département. Idem pour l’éclairage manquant, dont les Services industriels de Genève (SIG) sont l’exploitant. «Nos services vont contacter cette régie publique pour lui signaler le problème et demander une intervention rapide.» Mais les choses se corsent pour ce qui est des problèmes de rouilles et de corrosion présents sur les caissons de protection des réseaux, relevée lors de la dernière inspection des ouvrages d’art (effectuée tous les 5 ans). «Des interventions sont en cours de planification pour corriger tous les types de désordres relevés sur l’ensemble du territoire. Pour ceux qui sont situés autour de la Rade, l’opportunité d’une intervention ciblée sera discutée avec les SIG», assure la Municipalité. Enfin, les rambardes, qui sont en réalité des «garde-corps», suscitent une attention particulière. «Il s’agit d’éléments patrimoniaux en acier et en fonte, qui font partie de l’ensemble Marschall. L’AGCM indique qu’un projet est en cours pour définir la meilleure façon de les restaurer. Leur état est suivi de près en attendant cette réfection».
La Ville se défend
TR • De son côté, le Département de la sécurité et des sports, dirigé par Marie Barbey-Chappuis, défend son approche en matière d’animations. «En 2022, le Service de l’espace public a autorisé 1140 manifestations diverses sur le territoire de la Ville, ce qui est énorme! Sur certains sites, il y a presque trop de choses, ce qui nous oblige à faire des arbitrages», détaille Cédric Waelti, porte-parole. Parmi les exemples cités: la Lake Parade, Feu O lac, les concerts au parc La Grange, les animations sportives à la Canopée ou encore les spectacles de stand-up organisés par la buvette du Cormoran, à deux pas des Bains. «On peut aimer ou pas certains événements proposés, mais ce reproche de manque d’animations ne résiste pas à une analyse sérieuse et objective de l’offre», conclut le porte-parole.
«Les améliorations vont dans le bon sens»
TOURISME • Directement concerné par les aménagements et l’entretien de la Rade, Genève Tourisme surveille de près ces questions. Confronté aux critiques formulées contre les autorités, son directeur, Adrien Genier, se veut rassurant. Entretien.
GHI: Plusieurs acteurs déplorent un manque de vision pour la Rade, avec des espaces inutilisés et une offre très limitée. Votre avis? Adrien Genier: Je ne partage pas ce constat! Au contraire, il y a une vraie volonté et vision d’améliorer l’offre et l’accès au lac autour de la Rade. Si on regarde la rive gauche, elle a été complètement transformée avec la libération de l’espace et la nouvelle plage qui a redynamisé le coin. Sur la rive droite également, il y a des projets d’accès au lac, des panneaux qui ont été refaits avec une signalétique toute neuve devant l’Hôtel de la Paix par exemple. Tout cela prend un peu de temps, il est vrai, mais les améliorations vont dans le bon sens.
Aujourd'hui, que font les touristes sur la Rade à part prendre une photo de l'horloge fleurie et du Jet d'eau? Les touristes aiment flâner autour de la Rade. Ils se prennent en photo, font un tour avec la Grande roue. Ils prennent volontiers les Mouettes, vont jusqu’à la Perle du Lac, puis passent par l’Horloge fleurie et vont en Vieille-Ville, à la cathédrale. Ils prennent un verre sur une terrasse, mangent une glace chez un glacier. Le plus grand nombre d’interactions avec nos équipes de Tourists Angels se fait au Jardin anglais et aux Pâquis.
D'un point de vue touristique, quelle serait la meilleure manière d'aménager la Rade ou de la développer ces prochaines années? Les touristes cherchent des expériences authentiques, alors tout ce qui est bon pour les Genevois est bon pour le tourisme. Il y a des installations éphémères qui sont sympas avec des buvettes estivales par exemple qui ont été mises sur pied ces derniers étés. L’offre de ces installations estivales ne fait que de s’étoffer et on salue la dynamique qui en découle.
Des chiffres-clés
1’626’200. C’est le nombre total de nuitées enregistrées entre janvier et juin de cette année dans les hôtels genevois. «Un plafond historique pour un premier semestre», notent les statistiques cantonales sur leur site internet. Par rapport au premier semestre de l’année dernière, la croissance s’établit à 26,7%. Rien qu’entre avril et juin, l’hôtellerie genevoise a enregistré 910’400 nuitées, là aussi un record pour un deuxième trimestre. Notez que les hôtes venus de l’étranger comptabilisent les trois quarts des nuitées totales.
Pas gais les quais non? L'éditorial d'Adelita Genoud
Certaines voies, à l’instar de celles du seigneur sont décidément impénétrables. Ou plutôt certains aménagements de quais, au hasard ceux de Genève, demeurent insondables. Au point de se demander ce que les touristes qui explorent la cité de Calvin viennent faire dans cette galère, entendez la Rade et ses alentours.
Pourtant ce n’est pas comme si la ville du bout de lac n’était pas en quelque sorte bénie des dieux. Tout y est. Un Jet d’eau iconique, des navettes lacustres rouges et jaunes qui ajoutent une note pittoresque et joyeuse au paysage. Le Léman encore, véritable manne pour les faiseurs d’activités aquatiques mais si peu accessible et insufisamment exploitée en ce lieu central de la métropole.
Que manque-t-il alors? Quelques touches par-ci par-là qui feraient toute la différence. A commencer par la remise en état des ouvrages et monuments usés par le temps (voir article ci-contre). Et puis davantage d’accès à notre vaste plan aquatique, plus de jeux pour les enfants, des bouquinistes, des infrastructures qui ne ressembleraient pas à des containers empruntés aux entrepôts des Ports Francs.
La Genève aux manettes de l’espace public ne faillit assurément ni en matière de compétence ni en termes d’imagination. Elle le prouve en multipliant les rendez-vous sportifs et ludiques en divers quartiers.
Alors qu’attend-on pour donner un petit air de fête pérenne à un joyau urbanistique qui irradie sur tant de cartes postales.