«Encourager l'emploi des 50 ans et plus est une priorité»
Delphine Bachmann, ministre de l’Economie.
La Fédération des entreprises romandes (FER) le dit haut et fort: il faut déconstruire les préjugés dont souffrent les seniors. Car les statistiques sont unanimes: lorsqu’un senior perd son emploi, il a davantage de difficultés à retrouver une activité que les autres. Et pourtant. Engager des aînés présente de nombreux avantages. «Ils ont de l’expérience qu’ils peuvent transmettre, connaissent le sens de l’engagement et sont fidèles», souligne Véronique Kämpfen, directrice de la communication pour la fédération. Plus largement, la FER défend le principe d’une véritable mixité dans les entreprises. «Les personnes plus âgées apportent beaucoup à la vie d’une société. Cela crée de belles interactions. On parle aussi de savoir -être lorsque les jeunes s’imprègnent des «bonnes pratiques» au contact des seniors.»
L’Union patronale suisse (UPS), pour qui l’emploi chez les seniors est un dossier prioritaire, acquiesce. Elle prône une revalorisation des 55 ans et plus. Ce d’autant que la pénurie de personnes actives sur le marché de l’emploi fait redouter une explosion des postes vacants ces prochaines années. «A l’horizon 2030, il manquera 500’000 actifs. Il faut donc d’urgence adopter des mesures», préconise Marco Taddei, responsable romand pour l’UPS. Parmi ces mesures, l’Union patronale recommande d’encourager la formation continue. «Autrefois, une seule formation suffisait, cela faisait partie du modèle. Aujourd’hui, il faut continuer à s’adapter et se tenir au courant des nouveautés», estime le responsable. Une approche qui va de pair avec la responsabilisation des seniors.
«Aujourd’hui, ils doivent pouvoir agir, développer leur réseau et ne pas rester les bras croisés», résume Marco Taddei. Mais ce n’est pas tout, il estime également nécessaire d’allonger la durée du travail. «Aujourd’hui, on considère l’âge de 65 ans comme un blocage, presque un tabou. Pourtant, nous sommes une société qui vieillit bien. De nombreux seniors veulent poursuivre leur carrière. Faire sauter ce verrou est une question de survie pour l’économie suisse.»
Secteurs exposés
«Encourager l'emploi des 50 ans et plus est une priorité», assure Delphine Bachmann, ministre de l’Economie. Son Département vient d’ailleurs de lancer, avec l’Office cantonal de l’emploi (OCE), une campagne de communication pour le recrutement des talents plus âgés via LevelPlus. Un projet pilote qui est soutenu par la Confédération. «Les visuels et slogans ont pour objectif de briser les stéréotypes et faire reconnaître la valeur ajoutée que ces personnes apportent à nos entreprises et à notre société. Les associations économiques CCIG et FER y sont sensibles et ont relayé cette campagne sur leurs réseaux sociaux», explique encore la magistrate.
L’enjeu est de taille. Selon elle, en 2020, la part des chômeurs de longue durée âgés de 55-64 ans était de 52%, contre 42% chez les 40-54 ans et 28% chez les 25-39 ans. Pour les plus de 55 ans, le risque d'arriver en fin de droits de l'assurance-chômage est 18% plus élevé que pour toutes les autres tranches d'âge. Quels sont les secteurs les plus exposés? Toujours selon le Département de l’économie, on retrouve la banque, la finance, le négoce, l’informatique, le marketing et la communication, les ressources humaines et plus généralement des cadres, tous secteurs d’activité confondus.
Coût, inadaptitude technologique: les préjugés résistent
INTERVIEW • René Knüsel, professeur en sciences sociales et politiques à l’Université de Lausanne, décrypte le phénomène du chômage long chez les seniors.
GHI: Quelle est la situation qui prévaut aujourd’hui?
René Knüsel: Le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) faisait état en août dernier d’un taux de chômage chez les seniors de 2% en moyenne. Un chiffre qu’il faut mettre en perspective avec le fait qu’un quart des chômeurs de longue durée sont des seniors. C’est là une spécificité suisse qui ne se vérifie quasi pas dans le reste de l’Europe.
Comment expliquer ce particularisme helvétique?
C’est tout d’abord une question de représentation sociale. Autrement dit, on reproche aux jeunes de ne pas avoir d’expérience et à leurs aînés d’en avoir trop. Ensuite, il faut savoir que bon nombre de recrutements se font sur
la base d’algorithmes qui vont éliminer d’emblée les dossiers principalement sur le critère de l’âge. Pourquoi? En raison du coût progressif, supposé ou réel, d’un senior. Et plus encore, des charges sociales (2e pilier) qui croissent bel et bien selon le même principe. Sans oublier, les préjugés autour de leur incapacité à intégrer les nouveaux codes ainsi que les outils informatiques et digitaux. Cette généralisation abusive constitue de la part des entreprises une stigmatisation gênante pour cette classe d’âge.
Les 55 ans et plus adoptent-ils le bon comportement face aux recruteurs?
Pas dans tous les cas. Certains n’ont pas intégré les changements radicaux qui se sont opérés depuis
leur entrée dans le monde du travail ou parce qu’ils sont au chômage pour la première fois, ils sont dans un état de sidération. Depuis les années 1990, les gens ont pris conscience qu’ils n’exerceraient pas la même profession, ou pas dans la même entreprise, d’un bout à l’autre de leur carrière.
La formation continue est un garde-fou contre le chômage de longue durée mais elle est de moins en moins prise en charge par
les employeurs?
Pourtant, les jeunes diplômés devraient continuer à apprendre tout au long de leur carrière pour être parfaitement flexibles. Pour les seniors, la formation continue devrait aller de soi. In fine, l’économie serait largement gagnante. On sait que la main-d’œuvre va manquer de façon exponentielle. L’apport de personnel en provenance d’autres pays devrait se tarir. Alors que l’on pourrait parer à cette tension en offrant aux séniors des conditions de travail adéquates.