Dans ce territoire de toundra cerné de fjords et de montagnes, l’absence de lumière durant un long trimestre pourrait bien perturber les autochtones. Si des études scientifiques ont démontré qu’ils ne sont pas plus déprimés l’hiver que l’été, il suffit d’observer l’effervescence des populations au retour des beaux jours pour saisir combien il est illusoire de faire l’impasse sur les bienfaits du soleil. Difficile de croire que le recours aux éclairages artificiels et à la consommation d’huile de foie de morue (authentique!) suffit à chasser les idées noires. Sous ces latitudes, certains avouent souffrir d’insomnies.
Sigrid est une lumineuse historienne de Tromsø. Elle ne manque pas d’arguments pour justifier son amour de l’hiver: «Je me rends à mon travail à skis de fond. Dans les commerces, les cafés et les foyers, allumer des bougies devient un rite poétique. On pratique ce que nous appelons le koselig (équivalent de l’anglais cozy): s’envelopper dans une douillette couverture, siroter une boisson chaude en grignotant des biscuits.» Sans oublier la féerie des aurores boréales et les manifestations qui ponctuent le calendrier – comme le festival international du film – traditionnellement organisé en janvier.
Fièvre du samedi soir
Sigrid vante aussi les activités hivernales aux voisines îles Lofoten: kayak de mer, observation d’orques, sorties raquettes… l’opportunité de découvrir l’archipel durant la haute saison de la pêche. Elle affirme que la froidure stimule les contacts sociaux, pour peu que l’on accepte de mettre le nez dehors, surtout le week-end. Car s’il est effectivement plutôt pantouflard en semaine, l’autochtone s’éclate à partir du vendredi – voire jeudi – soir. Dans les pubs, la bière coule à flots. Hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres peuvent bien boire et reboire encore – comme chantait Brel dans le port d’Amsterdam –, la fête ne perd ici jamais son caractère bon enfant: quasi aucun alcoolique chronique ou désespéré.
L’historienne dit que ces libations de fin de semaine seraient en fait un héritage de la culture viking. Viking? Faut-il imaginer une horde de guerriers sanguinaires, pilleurs d’abbayes et couvents. «Sanguinaires, non, plutôt marchands. Mais pilleurs de monastères, oui!», sourit Sigrid en avalant un aquavit!