La ville joue sur tous les tableaux de ses grands maîtres de la modernité pour remettre au goût du jour les folles années 1900. Un âge d’or où la société, en pleine mutation, était écartelée entre ombre et lumière. Entre le solaire Gustav Klimt et le crépusculaire Egon Schiele. Deux peintres phares qui se sont éteints en 1918 et dont Vienne célèbre le centenaire.
Rassurez-vous, pas besoin de sortir de l’Académie des beaux-arts pour ressentir le puissant pouvoir de suggestion des œuvres exposées. Tomber en pâmoison devant les portraits de femmes fatales de Klimt ou être déstabilisé par la nudité tourmentée et crue des corps décharnés de Schiele sera le lot de chaque visiteur. D’autant que les toiles de Schiele restent d’une brûlante actualité. Les affiches de sa rétrospective ont été censurées dans plusieurs villes européennes. «Désolé! 100 ans d’âge et toujours trop osé!», c’est le message collé sur les sexes pour les masquer aux yeux chastes.
«La Joconde d’Autriche»
Cette astucieuse censure a permis à Vienne, qui ne craint pas le scandale, de transformer les critiques en buzz médiatique. Mais il n’y a pas que l’odeur de soufre pour attirer les touristes. Il y a aussi et, peut-être surtout, la grâce et la beauté. Notamment avec l’admirable et fusionnel Baiser de Gustav Klimt. La légende veut que cette œuvre, surnommée «La Joconde d’Autriche», ne soit jamais sortie du Belvèdere. C’est dans cette ancienne résidence princière, l’un des plus beaux palais baroques du monde, que trône l’étreinte éternelle d’un couple qui a conquis le monde sans bouger de son cocon doré. A peine deux salles plus loin, vous aurez la version zombie du baiser de Schiele.
Contraste saisissant entre deux esthétiques que tout oppose. Pour mieux mesurer à quel point elles ont bouleversé leur époque, il faut visiter le Musée Léopold et le Musée de l’histoire de l’art. Les motifs de s’éblouir ne manquent pas. Surtout avec The Klimt Bridge, une passerelle temporaire qui permet de prendre de la hauteur et toucher du regard des fresques qui ne s’attendaient pas à être dévisagées de si près.
Bien entendu, l’esprit novateur et la créativité de la modernité viennoise ne se limitent pas à la peinture. Il y a un siècle, tout était passé en revue. Architecture, urbanisme, arts déco, meubles, bijoux, design… La révolution était totale. Une visite du Musée des arts appliqués montrera à quel point celle-ci a remodelé les objets du quotidien et continue à le faire. Une phrase de l’écrivain Hermann Bahr résume bien cet esprit pionnier: «Ça devait être très intéressant, à Vienne, à l’époque.» Bonne nouvelle, c’est encore le cas aujourd’hui, alors que la capitale autrichienne s’apprête à célébrer une année touristique de tous les superlatifs.